Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la poésie — celle du poète de la précision — lui sera très honorablement conservée.

Le seul poète parnassien qui ait connu la grande popularité, et le Béranger de la Troisième République, ce fut François Coppée. Gautier se moquait de Flaubert qui lui avait dit de son prochain livre : « Il n’est pas encore écrit, mais j’ai toutes mes chutes de phrases dans l’oreille. » Pareillement Coppée prit aux tétrarques du Parnasse les chutes, les coupes, les rimes de leurs vers. Comme technicien il est l’élève et le successeur de Banville. Même maîtrise impeccable dans l’équilibre du vers, même variété dans les rejets, même trouvaille, mise en valeur et richesse de la rime, même langue franche et de plein jet. Ce Parisien de Paris est aussi un ouvrier de Paris : l’ébéniste, l’orfèvre, le relieur parisiens, qui, le soir, en famille, lisaient du Coppée, au temps des bons ouvriers d’art du faubourg Antoine ou de la rue Dauphine, retrouvaient en ce praticien un collègue et un frère.

Ainsi que le vers de Banville, et au contraire du vers de Sully Prudhomme et du vers de Heredia, le vers de Coppée plonge dans la langue parlée comme une fleur dans l’eau. Banville et Coppée tenaient une conversation étincelante, plaisante et vive de poètes, tandis que celle de Sully offrait les propos élevés d’un philosophe, celle de Leconte la décision distante et ironique d’un maître, celle de Heredia le plumage et le ramage d’un oiseau du tropique. Et Banville et Coppée, s’ils savaient parler, savaient faire parler : tous deux étaient poètes de théâtre, et la carrière poétique de Coppée est encadrée entre les deux triomphes du Passant et de Pour la Couronne. (Son audience dramatique dépassa de beaucoup celle de Banville.) Les petits bourgeois ne s’y sont pas trompés, quand ils ont fait à ses poèmes populaires un succès extraordinaire de diction : peu de soirées chez le sous-préfet où le surnuméraire de l’enregistrement ne rugît la Bénédiction ou ne fît pleurer la notairesse avec le Naufrage et la Veillée.

Banville déclare au début du Petit Traité de Poésie française : « L’outil que nous avons à notre disposition est si bon, qu’un imbécile même, à qui on a appris à s’en servir, peut, en s’appliquant, faire de bons vers. » Le malin Coppée n’est pas du tout ce poète faible d’esprit qui s’appliquerait, mais c’est