Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/135

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ni de penser une ligne de manifeste pour en devenir le porte-drapeau. Drapeaux, écussons sur la pierre, parchemins au grand sceau de cire jaune, émaux, reliquaires, il semble qu’à l’imitation de ces vieilles choses historiques où un petit espace est chargé de sens et de beauté il ait écrit ses sonnets. La terre et les morts ! dit Barrès. La mer et les vivants ! dit Claudel. L’histoire et les mots ! telle est la devise d’où Heredia a tiré son œuvre. Dans l’histoire, chacun établit, selon sa nature, des lignes arbitraires à l’intérieur desquelles il encadre, abstrait, emporte, utilise ce qu’il veut : ainsi la Grèce qui pour les classiques est raison, pour Leconte de Lisle beauté plastique, pour Louis Ménard vérité, pour Pierre Louÿs nudité et luxure. Heredia, lui, a jeté sur l’histoire un réseau qui en retenait des images plastiques. Tout existe, disait Mallarmé, pour aboutir à un livre. L’histoire dans la durée, la terre et les cieux dans l’espace, existent, devant Heredia, pour aboutir au dernier vers d’un sonnet. Quatorze vers sur cinq rimes : dans ce fruit parfait d’une séculaire expérience de l’oreille, il n’est rien du passé ni du présent qui ne puisse, en s’y contractant, contracter sens éternel et beauté fixée.

Si le Parnasse a consisté en partie dans une poésie d’atelier, le sonnet est par excellence le poème d’atelier. Il convoque, suggère, impose, des images plastiques. On comprendra d’autant mieux la force du sonnet parnassien qu’on le ramènera davantage à ces images, qu’on s’efforcera de rapprocher la technique poétique de celle des arts plastiques. Banville, insistant sur une des difficultés du sonnet, qui est l’inégalité des quatrains et des tercets, et signalant l’artifice par lequel dès lors on grandira, élargira, magnifiera les tercets, sans rien leur ôter de leur légèreté et de leur rapidité, écrit très justement : « Ceux-là me comprendront qui ont admiré comment les Coustou et les Coysevox équilibrent toute une figure avec un morceau de draperie et presque un ruban désespérément envolé ». Mieux encore on ferait du sonnet d’Émail un blason du travail parnassien.

Le four rougit ; la plaque est prête. Prends ta lampe,
Modèle le paillon qui s’irise ardemment
Et fixe avec le fer, dans le sombre pigment,
La poudre éblouissante où ton pinceau se trempe.