Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/137

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tude. Les quatorze vers d’un sonnet se trouvent immédiatement à la mesure d’un sentiment chez Ronsard, d’une pensée chez Sully Prudhomme, d’un tableau chez Heredia. Heredia a le goût de la coupe, et il en tire des effets admirables, mais pas plus que Banville et Coppée dans leurs alexandrins suivis. Il écrivait difficilement ses sonnets, mais le temps ne fait rien à l’affaire, et Racine, lui aussi, faisait difficilement des vers faciles. Or un sonnet de Heredia est facile, clair, se lit, se boit, se savoure d’un trait.

La vérité nous paraît simplement que, par le simple jeu de la durée vivante, par le fait seul du vieillissement naturel, le sonnet moderne, qui dure depuis cent ans, et qui a été dans les jardins du Parnasse l’objet d’une véritable forcerie, donne des marques d’épuisement. Le sonnet du XVIe siècle n’avait pas duré plus longtemps. On fait encore d’excellents sonnets ; ce matin même j’en cueillais un, frais paru, et charmant, de M. de Nolhac sur Hélène de Surgères. Mais enfin, les lire c’est relire. Un jeune poète qui viendrait nous apporter un recueil de sonnets ne serait jeune que pour l’état civil ou sa bonne amie, et nullement pour notre goût. Il y a en littérature un assolement nécessaire. Le sonnet va entrer en sommeil pour deux ou trois générations, comme il a fait vers 1661, après quoi un prince le réveillera, qui cueillera la rose neuve.

Non seulement par ses sonnets, mais par sa personne, son accueil, sa ferveur poétique, la voix de cuivre de ses enthousiasmes, son salon de l’Arsenal où il avait repris les réceptions littéraires de Nodier (le sonnet d’Arvers n’avait-il pas été écrit pour Marie Nodier ? Comme le sonnet, le monde est petit !) Heredia avait ouvert son atelier de sonnets sur une place publique de la poésie, comme la bottega d’un peintre de la Renaissance. Autour de lui s’affirmait et s’entretenait un goût de décor, de belles choses, luxe de vivre, de penser et de créer, un amour des mots somptueux. Le Parnasse ne se conçoit pas sans bibliothèques. Mais tandis que le bibliothécaire créole du Sénat était pasteur d’éléphants, le bibliothécaire cubain de l’Arsenal vivait dans une volière d’oiseaux de paradis. Il fut le seul Parnassien que les symbolistes respectèrent, encensèrent et même imitèrent. La soudure des deux campagnes poétiques se fit dans les salons de l’Arsenal.