Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/142

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Les vrais disciples de Baudelaire sont les poètes symbolistes, et d’abord et surtout Mallarmé. Néanmoins Maurice Rollinat (1846-1903) nous garde assez bien l’idée de ce que pouvait être certain baudelairisme du dehors, tel que l’imaginait Brunetière, avec des horreurs, des hystéries, des névroses et du macabre. Rollinat a de l’invention, le sens des fantômes, des brandes et du frisson des nuits : mais la faiblesse de sa langue, l’insuffisance de sa poétique, voilà qui ne nous permet de le laisser dans un coin du Parnasse qu’à condition qu’il s’y fasse oublier.

L’influence de Baudelaire s’exerce beaucoup plus d’une façon diffuse, par une lente transformation de la vision poétique, que par des disciples et des imitateurs patents. Du fait même de la quarantaine où le tenait la critique universitaire, et parce que, par exemple, quand Gidel était proviseur du lycée Louis-le-Grand, la saisie des Fleurs du Mal dans les mains d’un rhétoricien était un cas d’expulsion, la découverte de Baudelaire, l’action de Baudelaire, ont pris, pour les générations de la fin du XIXe siècle, une grande importance. Le poète de ce temps qui nous fournirait la plus claire figure du baudelairien moyen, sur la frontière du Parnasse et du symbolisme, serait Albert Samain, tout au moins le premier Samain, celui du Jardin de l’Infante (1894), un des plus grands succès poétiques de ce temps (quatre-vingt mille exemplaires à ce jour). Flamand timide et maladif, vivant dans les limites, les joies et les devoirs de la bureaucratie parisienne (celle de l’Hôtel de Ville, où les littérateurs sont nombreux), c’est par un malentendu, et parce qu’il fut des premiers collaborateurs du Mercure, qu’on le compte parmi les symbolistes. Sa poésie claire et plastique, de forme liée, impeccable, artiste, ne révèle qu’un carrefour parfait d’influences parnassiennes, une étoile de routes dans une belle forêt. L’article de Coppée qui le fit connaître et célébrer en 1894, c’était exactement la transmission d’un aîné parnassien à un Épigone de la même école.

albert thibaudet
(La fin dans le prochain numéro.)