Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/458

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Vous ne serez qu’une aubergine
Si vous n’avez pas lu Ponchon !

Je remplace ici vu par lu : car vous n’aurez pas toujours Ponchon parmi vous, tandis que la Muse au Cabaret, le seul livre qu’il ait daigné extraire de ses chroniques, durera toujours pour les bons lecteurs et les bons buveurs.

Dans cet aimable quartier du Parnasse, non loin de Glatigny, on rangera Léon Valade, funambule à la suite, dont le verre ne fut pas grand, mais qui en eut un bien à lui, la flûte à champagne du triolet. La chronique des années 1880, en triolets signés Silvius, dans la revue la Jeune France, vaut presque la chronique rimée de Ponchon. Louis Marsolleau, Hugues Delorme, ont brillé dans ce journalisme en vers, où la rime fait une partie du comique. L’auteur de Rimes d’audience, Henry Spiess, figure poétique et lunaire, y prendrait facilement place. En 1930, le représentant le plus brillant de cette lignée banvillesque, héritier de la grâce de Banville, de son incroyable facilité pour tout mettre en vers, c’est Tristan Derème, incarnation contemporaine de l’ancien Pierrot, auteur de ces Poèmes de la pipe et de l’escargot, qui s’en vont en spirales, comme la fumée de l’une et la trace d’argent de l’autre, et de l’Enlèvement au clair de lune, dont le titre est tout un programme. Quant à ceux qu’on appelle aujourd’hui les poètes fantaisistes, c’est tout autre chose, et même tout le contraire.

Si on s’amusait à appeler les disciples de Banville les poètes funambules, on devrait observer les distances en nommant ceux de Sully Prudhomme les poètes penseurs. Il y en a de fort distingués. Rappelons le nom éminent d’un précurseur de Sully, madame Ackermann, qui, née en 1813, appartient à la génération romantique, mais publie encore en 1872 ses Poésies philosophiques et ne meurt qu’en 1890. Et ce nom nous indique que la muse pensive n’a rien du tout de la Muse au Cabaret. Cette muse est pessimiste radicalement avec la schopenhauérienne qu’est madame Ackermann, virilement avec Sully Prudhomme, métaphysiquement avec le poète de