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LA REVUE DE PARIS

descendiez ensemble le grand escalier et que vous veniez vers moi, m’aviez-vous pas l’aspect de la femme qui apporte un don ou un message inattendu ? Non pas inattendu, peut-être, Perdita ! Car ce que j’attendais pour moi de votre sagesse infinie, c’était un acte extraordinaire… »

— Comme elle est heureuse, la belle Ninette, entre sa guenon et son barbet ! — soupira la désespérée, en retournant la tête vers la chanson facile et le balcon riant.

La zoventù xe un fior
Che apena nato el mor,
E un zorno gnanca mi
No sarb quela[1]

.

Donatella Arvale aussi retourna la tête, et Stelio en même temps qu’elle. Il ne sombrait pas, le frêle esquif qui portait sur l’eau et sur la musique ce lourd destin au triple visage.

E vegna quel che vol,
Lassè che vaga[2] !

Dans tout le Grand Canal courait, au loin répétée par toutes les barques, la mélodie du plaisir fugitif. Fascinés par le rythme, les esclaves de la rame unirent leurs voix au chœur joyeux. Cette joie, qui avait paru terrible au poète dans le premier cri de la foule pressée sur le Môle, s’atténuait maintenant, se faisait lascive, se fleurissait de jeux et de grâces, devenait douce et indulgente. L’animula de Venise répétait le refrain de la vie oublieuse, qui pince les guitares et danse parmi les festons de lanternes.

E vegna quel che vol,
Lassè che vaga !

Tout à coup, devant le rouge palais des Foscari, dans la courbe du canal, un grand bucentaure s’enflamma comme une tour qui s’incendie. De nouvelles foudres crépitèrent dans le ciel. De nouvelles colombes ardentes s’envolèrent du

  1. « La jeunesse est une fleur — qui meurt aussitôt née, — et un jour, moi aussi, — je ne serai plus celle que je suis. »
  2. « Et advienne que pourra, — laissez passez ! »