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LE FEU

heure je m’unisse à toi ; et, même si Dieu me repousse, en toi je serai rachetée et sauvée ! » Et la réponse de Parsifal, où revient avec une solennité si haute le motif du Fol, transfiguré maintenant et devenu le Héros promis : « L’enfer pour nous éternellement, si, ne fût-ce qu’une heure, je te laisse me serrer entre tes bras… » Et la sauvage extase de Kundry : « Puisque mon baiser t’a rendu voyant, l’entier embrassement de mon amour te fera divin. Une heure, une seule heure avec toi, et je serai sauvée ! » Et les suprêmes efforts de sa volonté démoniaque, le dernier geste pour séduire, l’imploration et l’offre furibonde : « Seul ton amour me sauve. Laisse-moi t’aimer. Mien, seulement pour une heure ! Tienne, seulement pour une heure ! »

Éperdus, Perdita et Stelio se regardèrent au fond de l’âme ; dans un battement de paupières, ils s’étreignirent, s’unirent, et se pâmèrent comme sur un lit de volupté et de mort.


La Marangona, la grosse cloche de Saint-Marc, sonnait minuit. De même que tout à l’heure, au crépuscule, il leur sembla qu’ils percevaient le bourdonnement du bronze dans la racine de leurs cheveux, comme un frisson de leur propre chair. Ils crurent sentir passer encore sur leur tête cet immense ouragan de sons au milieu duquel ils avaient soudain vu s’élever les apparitions de la Beauté consolatrice invoquées par la Prière unanime. Toutes les grâces des eaux, l’infini tremblement du désir qui se cache, l’anxiété, la promesse, l’adieu, la fête, et le monstre formidable aux mille visages humains, et la grande sphère étoilée, et les clameurs, et les musiques, et le chant, et les prodiges du feu, le retour par le canal sonore, la chanson de la jeunesse brève, la lutte et l’angoisse muette dans la gondole, l’ombre subite sur les trois destins, le festin illuminé par l’idée belle, les pressentiments, les espérances, les orgueils, toutes les pulsations de la vie forte se renouvelèrent en eux, s’accélérèrent, furent mille et ne furent qu’une. Et ils crurent avoir vécu par delà toute limite humaine, et qu’à cette minute ils avaient devant eux une immensité inconnue qu’ils pourraient aspirer comme on humerait d’un trait un océan : car, après avoir tant vécu, ils se sentaient vides ; car, après avoir tant bu, ils restaient