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LE FEU

s’épanchait avec une surhumaine suavité la mélodie du pré en fleurs : « Comme il est beau, le pré, aujourd’hui ! Un jour, de merveilleuses fleurs m’enlacèrent ; mais l’herbe et la corolle n’eurent jamais un tel parfum… » Extatique, Parsifal contemplait le pré et la forêt tout riants de rosée dans la lumière matinale.

— Ah ! qui pourrait oublier ce moment sublime ? — s’écria l’émerveillé, dont le visage maigre semblait réfléchir l’éclair de cette joie. — Tous, dans l’obscurité du théâtre, nous demeurions immobiles comme une seule masse compacte. On eût dit que, pour écouter, le sang s’était arrêté dans toutes les veines. Du Golfe Mystique, la symphonie montait en illusion de lumière, les notes se changeaient en rayons de soleil, s’engendraient avec l’allégresse du brin d’herbe qui perce la terre, de la corolle qui s’ouvre, de la branche qui pousse ses bourgeons, de l’insecte qui déploie ses ailes. Et toute l’innocence des choses qui naissent pénétrait en nous ; et notre âme revivait je ne sais quel rêve de notre lointaine enfance… Infantia, la parole de Carpaccio !… Ah ! Stelio, cette parole, comme tu as su la répéter à notre vieillesse ! Comme tu as su nous inspirer le regret de ce que nous avons perdu et l’espérance de le recouvrer au moyen de l’art indissolublement rattaché à la vie !

Stelio se taisait, écrasé sous le poids de l’œuvre gigantesque accomplie par ce créateur barbare que l’enthousiasme de Baldassare Stampa évoquait pour l’opposer à l’ardente figure du poète d’Orphée et d’Ariane. Une sorte de rancune instinctive, une obscure hostilité qui ne venait pas de l’intelligence, le soulevait contre ce Germain tenace qui avait réussi à enflammer le monde. Pour remporter la victoire sur les hommes et sur les choses, il n’avait fait, celui-là aussi, qu’exalter sa propre image, magnifier son propre rêve de beauté dominatrice. Celui-là aussi était allé vers la foule comme vers la proie préférable. Celui-là aussi s’était imposé comme discipline l’effort pour se surpasser soi-même, sans trêve. Et maintenant il avait le temple de son culte sur la colline bavaroise.

— L’art seul peut ramener les hommes à l’unité, — dit Daniele Glàuro. — Honorons le noble maître qui a proclamé ce