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LE FEU

beauté d’une douleur extraordinairement calme. Puis l’antique sécheresse de la plaine d’Argos se convertit en flammes ; la fontaine Perseïa coula comme un fleuve rapide. Le feu et l’eau, les deux éléments primitifs, passèrent sur toutes choses, effacèrent tous vestiges, se répandirent, vaguèrent, luttèrent, triomphèrent, acquirent un verbe, prirent un langage pour dévoiler leur intime essence, pour raconter les innombrables mythes nés de leur éternité. La symphonie exprima le drame des deux âmes élémentaires sur la scène de l’Univers, la lutte pathétique des deux grands Êtres vivants et mobiles, des deux Volontés cosmiques, telle que se la figurait le pasteur Arya sur les hauts plateaux, en contemplant le spectacle des choses avec des yeux purs. Et tout à coup, du centre même du mystère musical, du gouffre de l’océan symphonique, l’Ode s’éleva, portée par la voix humaine, et atteignit les plus hautes cimes.

Le miracle de Beethoven se renouvelait. L’Ode ailée, l’Hymne, s’élançait des profondeurs de l’orchestre pour dire, d’une façon impérieuse et absolue, la joie et la douleur de l’Homme. Ce n’était pas le Chœur, comme dans la Neuvième Symphonie ; c’était la voix solitaire et dominatrice : l’interprète, la messagère de la multitude, « Sa voix ! sa voix !… Elle a disparu… Son chant paraissait toucher le cœur du monde ; et elle était par delà le voile », disait l’animateur, qui avait encore une fois dans les yeux la statue de cristal où il avait vu monter la source de la mélodie. « Je te chercherai, je te retrouverai, je m’emparerai de ton secret. Tu chanteras mes hymnes, debout au sommet de mes musiques. » Libéré de tout désir impur, il considérait la dépouille mortelle de la vierge comme le réceptacle d’un don divin. Il entendait la voix incorporelle surgir des profondeurs de l’orchestre pour révéler la part de vérité éternelle qui existe dans le fait éphémère, dans l’événement passager. L’ode couronnait de lumière l’épisode. Alors, comme pour ramener vers le jeu des apparences l’esprit ravi « par delà le voile », une figure de danse vint se dessiner sur le rythme de l’ode mourante. Entre les côtés d’un parallélogramme inscrit dans l’arceau de la scène, comme entre les limites d’une strophe, la danseuse muette, avec les lignes de son corps affranchi pour quelques instants des tristes lois de la pesanteur,