Page:Revue de Paris, 7è année, Tome 3, Mai-Juin 1900.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
287
LE FEU

et l’autre rose, les deux fils de l’eau coupée qui formèrent un tourbillon opalin, puis changèrent, prirent alternativement toutes les couleurs, comme si le bouillonnement, à la proue, était un arc-en-ciel fluide.

Poggia[1]  !

Le bateau vira de bord. Un miracle le surprit : les premiers rayons du soleil transpercèrent la voile palpitante, foudroyèrent les anges élevés sur les campaniles de Saint-Marc et de Saint-Georges-Majeur, incendièrent le globe de la Fortune, couronnèrent de fulgurations les cinq mitres de la Basilique. Venise Anadyomène domina sur les eaux, avec toutes ses gazes déchirées.

« Gloire au Miracle ! » Un sentiment surhumain de puissance et de liberté gonfla le cœur du jeune homme à l’instant où la brise gonfla la voile pour lui transfigurée. Dans la pourpre de la voile, il se vit comme dans la splendeur de son propre sang. Il lui sembla que tout le mystère de cette beauté réclamait de lui l’acte triomphal. Il eut conscience qu’il était capable de l’accomplir. « Créer avec joie ! »

Et le monde fut à lui.

Gabriele d’Annunzio
(Traduction de G. Hérelle.)
(À suivre.)


  1. « Appuie ! »