Page:Revue de Paris, 7è année, Tome 3, Mai-Juin 1900.djvu/492

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
488
LA REVUE DE PARIS

la cendre humide les enveloppait, de plus en plus épaisse ; le ramage confus et monotone les étourdissait, comme cette médecine qui étourdit les fébricitants. Les sirènes dans le lointain hurlaient ; et, peu à peu, les hurlements rauques s’affaiblissaient dans l’atmosphère molle, se faisaient doux comme des notes de flûte, s’attardaient comme ces feuilles décolorées qui abandonnaient la branche une à une sans gémir. Combien il était long, le temps qui s’écoulait entre le détachement de la feuille et son arrivée à terre ! Tout était lenteur, vapeur, abandon, consomption, cendre.

— Il faut que je meure, mon ami, il faut que je meure ! — dit-elle après un long silence, d’une voix déchirante, en relevant son visage du coussin où elle l’avait plongé pour vaincre la convulsion de volupté et de douleur que lui avaient donné les caresses inattendues et sauvages.

Elle vit son ami sur l’autre divan, à l’écart, là-bas, près du balcon, presque assoupi, les yeux mi-clos, la tête renversée, tout coloré d’or par les lueurs du soir. Sous la lèvre de son ami, elle vit une marque rouge comme une petite blessure, et, sur son front, les cheveux en désordre. Elle sentit que son désir s’alimentait de ces choses, que ses paupières faisaient mal à ses yeux, que son regard brûlait ses cils, et que, par ses prunelles, entrait et se répandait dans tout son être ce mal inguérissable. Perdue, perdue, maintenant elle était perdue sans remède.

— Mourir ? — lui dit le jeune homme d’une voix faible, sans ouvrir les yeux, sans bouger, comme du fond de sa mélancolie et de sa torpeur.

Elle vit trembler, sous la lèvre qui parlait, la petite blessure sanglante.

— Avant que tu me haïsses…

Il ouvrit les yeux, se souleva, tendit la main vers elle, comme pour l’empêcher de poursuivre.

— Ah ! pourquoi te tourmenter ainsi ?

Il la vit presque livide, les joues recouvertes par les boucles défaites, consumée comme si un poison la rongeait, ployée