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LA REVUE DE PARIS

à l’apparition d’une image funèbre. Et cependant il ne bougea pas, ne parla pas, n’essaya pas de dissiper cette nuée d’angoisse qui s’accumulait sur l’un et sur l’autre. Il resta inerte. Il perdit la connaissance des lieux, la mesure du temps. Il vit cette femme et lui-même au milieu d’une plaine sans fin, parsemée d’herbes arides, sous un ciel blanc. Et ils attendaient, ils attendaient qu’une voix les appelât, qu’une voix les réconfortât… Un rêve confus naissait de sa torpeur, ondulait, se transformait, s’attristait sous l’incube. Maintenant, il croyait gravir des rochers avec sa compagne ; et ils étaient haletants, et la terrible anxiété de son amie rendait plus affreuse sa propre anxiété…

Mais il tressaillit et rouvrit les paupières, au son d’une cloche. C’était la cloche de Saint-Siméon-Prophète, si voisine qu’elle semblait sonner à la voûte de la chambre. Le son métallique transperçait les oreilles comme une lame aigüe.

— Tu t’étais assoupie, toi aussi ? — demanda-t-il à la femme qu’il sentait abandonnée comme si elle eût déjà été morte.

Et il leva une main, lui effleura les cheveux, la joue, le menton.

Comme si cette main lui eût brisé le cœur, elle éclata en sanglots. Elle sanglotait, sanglotait, là, sur la poitrine de l’aimé, sans y mourir.

— J’ai un cœur, Stelio, — dit-elle en le regardant au fond des pupilles, avec un pénible effort qui fit trembler sa lèvre comme si, pour prononcer ces paroles, elle avait dû vaincre une timidité farouche. — Je souffre d’un cœur qui est là vivant, Stelio : vivant et avide et angoissé comme vous ne le saurez jamais…

Elle sourit de ce faible sourire dont elle voilait toujours sa souffrance ; elle hésita, tendit la main vers un bouquet de violettes, le prit, l’approcha de ses narines. Ses paupières s’abaissèrent ; son front demeura visible entre les cheveux et les fleurs, merveilleusement beau et triste.

— Vous le blessez quelquefois, — dit-elle doucement, la