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LA REVUE DE PARIS

d’atténuer la vérité qu’ils avaient découverte. Après quelques instants, ils lui devinrent intolérables. Il les ferma du bout des doigts, comme on ferme ceux des morts. Elle vit ce geste qui était d’une mélancolie infinie ; elle sentit sur ses paupières les doigts qui la touchaient comme savent toucher seulement l’amour et la pitié. Son amertume se dissipa, l’âpre nœud de sa gorge se dénoua, ses cils devinrent humides. Elle étendit les bras, lui enlaça le cou, s’y suspendit pour se soulever un peu. Et il sembla qu’elle se resserrait toute en elle-même, qu’elle redevenait encore une fois légère et faible, et pleine d’une silencieuse imploration.

— Donc, il faut que je m’en aille ! — soupira-t-elle, la voix mouillée par les larmes intérieures. — N’y a-t-il pas de remède ? N’y a-t-il pas de pardon ?

— Je t’aime, dit l’aimé.

Elle dégagea un de ses bras et tendit vers l’âtre sa main ouverte, comme pour conjurer le sort. Puis, de nouveau, elle enveloppa le jeune homme dans un étroit embrassement.

— Oui, encore un peu, encore un peu ! Laisse-moi rester encore un peu. Et puis, je m’en irai, je m’en irai mourir là-bas, très loin, sous un arbre, sur une pierre. Laisse-moi rester encore un peu !

— Je t’aime, dit l’aimé.

Les forces aveugles et indomptables de la vie tourbillonnaient sur leur tête, sur leur embrassement. Comme ils les sentaient présentes, l’effroi resserrait leur étreinte ; et, du contact de leur corps, naissaient pour leurs âmes un bien et un mal déchirants, qui se confondaient, n’étaient plus séparables. La voix des éléments parlait dans le silence un langage obscur qui était comme une réponse incomprise à leur muette interrogation. Près d’eux, loin d’eux, le feu et l’eau parlaient, répondaient, racontaient. Peu à peu, ils attirèrent l’esprit de l’animateur, le séduisirent, le charmèrent, l’entraînèrent dans le monde des innombrables mythes nés de leur éternité. Il eut dans ses oreilles la sensation réelle et profonde des deux mélodies qui exprimaient l’intime essence des deux Volontés élémentaires, les deux mélodies merveilleuses qu’il avait déjà trouvées pour les ourdir dans la trame symphonique de la tragédie nouvelle. Douleur et