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LA REVUE DE PARIS

— Je te vois belle, Foscarina. En toi je ne découvre que des choses qui me plaisent, toujours. Je regardais le pli de tes cheveux, là, ce pli étrange qui a été fait, non par le peigne, mais par la tempête.

Il plongea ses mains sensuelles dans les boucles épaisses. Elle ferma les yeux, reprise de ce froid, dominée par ce terrible pouvoir ; elle fut à lui comme une chose tenue dans le poing, comme une bague au doigt, comme un gant, comme un vêtement, comme une parole qu’on peut dire ou ne pas dire, comme un vin qu’on peut boire ou verser par terre.

— Je te vois belle. Quand tu fermes les yeux ainsi, je te sens mienne jusqu’aux dernières profondeurs, mienne, en moi, comme l’âme est mêlée au corps ; une seule vie : la mienne et la tienne… Ah ! je ne sais pas dire… Tout ton visage pâlit au dedans de moi-même… Je sens l’amour monter dans tes veines, jusqu’au bout de tes cheveux ; je le vois sourdre de dessous tes paupières… Quand tes paupières battent, il me semble qu’elles battent comme mon sang et que l’ombre de tes cils touche le sommet de mon cœur…

Elle écoutait, dans cette obscurité où, à travers le tissu vivant des paupières, lui arrivait la rouge vibration de la flamme ; et, par instants, il lui semblait que cette voix était lointaine, et qu’elle parlait, non à elle, mais à une autre, et qu’elle-même écoutait en secret un entretien d’amour, et qu’elle était déchirée par la jalousie, et qu’elle était frappée par les éclairs d’une volonté homicide, et qu’elle était envahie par un esprit sauvage de vengeance, et que pourtant son corps demeurait immobile, que ses mains pendaient engourdies par une lourde torpeur, désarmées, impuissantes.

— Tu es ma volupté et tu es mon réveil. Il existe en toi une puissance excitatrice dont toi-même tu n’as pas conscience. Le plus simple de tes actes suffit pour me révéler une vérité que j’ignorais. Et l’amour est comme l’intellect : il resplendit à mesure des vérités qu’il découvre. Pourquoi, pourquoi te chagriner ? Rien n’est détruit, rien n’est perdu. Il fallait que je fusse libre et heureux dans la vérité de ton entier amour pour créer l’œuvre belle que tant d’hommes attendent. J’ai besoin de ta foi, j’ai besoin de jouir et de créer… Ta seule présence suffit pour donner à mon esprit une fé-