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LES ROMANS DE LA GRENADE


LE FEU[1]


Dès l’heure de la première nuit, Stelio, pour gagner la maison de la Foscarina, préférait entrer par la grille du jardin Gradenigo et passer au milieu des arbres et des arbustes redevenus sauvages. L’actrice avait obtenu de faire communiquer son jardin avec celui du palais abandonné, par une brèche ouverte dans le mur de séparation. Mais, depuis quelque temps, lady Myrta était venue habiter les vastes chambres silencieuses qui avaient eu pour dernier hôte le fils de l’impératrice Joséphine, le vice-roi d’Italie. Ces chambres s’étaient ornées de vieux instruments sans cordes et le jardin s’était peuplé de beaux lévriers sans proie.

Rien ne semblait à Stelio plus doux et plus triste que ce chemin vers la femme qui l’attendait en comptant les heures, si lentes et pourtant si fugaces. Dans l’après-midi, le quai de San-Simeon-Piccolo se dorait comme une rive de fin albâtre. Les reflets du soleil jouaient avec les fers des proues alignées près du débarcadère, frissonnaient sur les marches de l’église et sur les colonnes du péristyle, animaient les pierres disjointes et usées. Quelques felses pourris gisaient à l’ombre, sur les dalles, avec leur serge que les pluies avaient endommagée et déteinte, pareils à des catafalques délabrés par l’usage

  1. Voir la Revue des Ier, 15 mai et Ier juin.