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LA REVUE DE PARIS

qui recouvrait les trois coupoles inégales de San-Simeone. Le jardin avait le même aspect sauvage que le grand édifice de pierre terni par la fumée tenace du Temps, strié par la rouille des ferrures qui avait coulé sous les pluies d’innombrables automnes. Et, tout entière, la chevelure d’un grand pin résonnait de ce ramage qui certainement, à cette minute, devait arriver aussi, du jardin clos, jusqu’aux oreilles de Radiana.

« Il vous fait souffrir ? » aurait voulu demander la vieille femme à l’amante : car ce silence lui pesait, et elle se sentait réchauffer par l’ardeur de cette âme douloureuse comme par ce tardif été. Mais elle n’osa pas. Elle poussa un soupir. Son cœur, toujours jeune, palpitait au spectacle de la passion désespérée et de la beauté menacée. « Ah ! vous êtes belle encore, et votre bouche attire encore les baisers, et l’homme qui vous aime peut s’enivrer encore de votre pâleur et de vos regards ! » pensait-elle en considérant l’actrice absorbée, vers laquelle s’allongeaient les roses de novembre. « Mais moi, je suis un spectre. »,

Elle baissa, les yeux, vit sur ses genoux ses propres mains déformées ; et elle s’étonna que ces mains fussent les siennes, tant elles lui semblèrent tordues et mortes, lamentables monstres qui ne pouvaient toucher sans provoquer le dégoût, qui ne pouvaient caresser désormais que les chiens somnolents. Elle sentit les rides sur sa face, les fausses dents contre ses gencives, les cheveux postiches sur sa tête, toute la ruine de son pauvre corps qui jadis avait obéi aux grâces de son esprit délicat ; et elle s’étonna de sa propre persistance à lutter contre les ravages des ans, à se tromper elle-même, à recomposer chaque matin la ridicule illusion avec les essences, avec les huiles, avec les onguents, avec les fards, avec les teintures. Mais, dans le printemps continuel de son rêve, sa jeunesse ne demeurait-elle pas toujours présente ? Hier, hier encore, n’avait-elle pas caressé un aimable visage avec ses doigts parfaits, chassé le renard et le cerf dans les hauts comtés, dansé avec son fiancé dans un parc, sur un air de John Dowland ?

« Il n’y a pas de miroirs chez la comtesse de Glanegg : il y en a trop chez lady Myrta ! — pensait la Foscarina. — La première a caché aux autres et à elle-même sa décadence ; la