Page:Revue de Paris, Tome XXIV, 01-01-1855.djvu/10

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séjour qui t’enchante a lui-même ses douleurs, ses luttes et ses dangers. La terre où nous avons vécu est toujours le théâtre où se nouent et se dénouent nos destinées : nous sommes les rayons du feu central qui l’anime et qui déjà s’est affaibli…

— Eh quoi ! dis-je, la terre pourrait mourir, et nous serions envahis par le néant ?

— Le néant, dit-il, n’existe pas dans le sens qu’on l’entend ; mais la terre est elle-même un corps matériel dont la somme des esprits est l’âme. La matière ne peut pas plus périr que l’esprit, mais elle peut se modifier selon le bien et selon le mal. Notre passé et notre avenir sont solidaires. Nous vivons dans notre race, et notre race vit en nous. »

Cette idée me devint aussitôt sensible, et, comme si les murs de la salle se fussent ouverts sur des perspectives infinies, il me semblait voir une chaîne non interrompue d’hommes et de femmes en qui j’étais et qui étaient moi-même ; les costumes de tous les peuples, les images de tous les pays apparaissaient distinctement à la fois, comme si mes facultés d’attention s’étaient multipliées sans se confondre, par un phénomène d’espace analogue à celui du temps qui concentre un siècle d’action dans une minute de rêve. Mon étonnement s’accrut en voyant que cette immense énumération se composait seulement des personnes qui se trouvaient dans la salle et dont j’avais vu les images se diviser et se combiner en mille aspects fugitifs.

— Nous sommes sept, dis-je à mon oncle.

— C’est en effet, dit-il, le nombre typique de chaque famille humaine, et, par extension, sept fois sept, et davantage[1]. »

Je ne puis espérer de faire comprendre cette réponse, qui pour moi-même est restée très obscure. La métaphysique ne me fournit pas de termes pour la perception qui me vint alors du rapport de ce nombre de personnes avec l’harmonie générale. On conçoit bien dans le père et la mère l’analogie des forces électriques de la nature ; mais comment établir les centres individuels émanés d’eux, — dont ils émanent, comme une figure animique collective, dont la combinaison serait à la fois multiple et bornée ? Autant vaudrait demander compte à la fleur du nombre de ses pétales ou des divisions de sa corolle…, au sol des figures qu’il trace, au soleil des couleurs qu’il produit.

  1. Sept était le nombre de la famille de Noé ; mais l’un des sept se rattachait mystérieusement aux générations antérieures des Éloïm !

    … L’imagination, comme un éclair, me présenta les dieux multiples de l’Inde comme des images de la famille pour ainsi dire primitivement concentrée. Je frémis d’aller plus loin, car dans la Trinité réside encore un mystère redoutable… Nous sommes nés sous la loi biblique…