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LA PHILOSOPHIE FRANÇAISE

fonde, Maine de Biran. En un mot, l’union étroite de la philosophie et de la science est un fait si constant, en France qu’il pourrait suffire à caractériser et à définir la philosophie française.

Un trait moins particulier, mais bien frappant encore, est le goût des philosophes français pour la psychologie, leur penchant à l’observation intérieure. Assurément ce trait ne pourrait plus suffire, comme le précédent, à définir la tradition française, car l’aptitude à se sonder soi-même, et à pénétrer sympathiquement dans l’âme d’autrui, est sans doute aussi répandue en Angleterre et en Amérique, par exemple, qu’elle l’est en France. Mais, tandis que les grands penseurs allemands (même Leibniz, même Kant) n’ont guère eu, en tout cas, n’ont guère manifesté, de sens psychologique, tandis que Schopenhauer (tout imprégné, d’ailleurs, de la philosophie française du xviiie siècle) est peut-être le seul métaphysicien allemand qui ait été psychologue, au contraire il n’y a pas de grand philosophe français qui ne se soit révélé, à l’occasion, subtil et pénétrant observateur de l’âme humaine. Inutile de rappeler les fines études psychologiques qu’on trouve chez Descartes et chez Malebranche, intimement mêlées à leurs spéculations métaphysiques. La vision d’un Pascal était aussi aiguë quand elle s’exerçait dans les régions mal éclairées de l’âme que lorsqu’elle portait sur les choses physiques, géométriques, philosophiques. Condillac fut un psychologue autant qu’un logicien. Que dire alors de ceux qui ont ouvert à l’analyse psychologique des voies nouvelles, comme Rousseau ou Maine de Biran ? Pendant tout le xviie et le xviiie siècles, la pensée française, s’exerçant sur la vie intérieure, a préparé la psychologie purement scientifique qui devait être l’œuvre du xixe siècle. Nul, d’ailleurs, n’a plus contribué à fonder cette psychologie scientifique qu’un Moreau de Tours, un Charcot ou un Ribot. Remarquons que la méthode de ces psychologues, — celle qui a valu à la psychologie, en somme, ses plus importantes découvertes, — n’est qu’une extension de la méthode d’observation intérieure. C’est toujours à la conscience qu’elle fait appel ; seulement, elle note les indications de la conscience chez le malade, au lieu de s’en tenir à l’homme bien portant.