astres ; l’homme qui vous donnait, en se jouant, plus de tourbillons et de créations inconnues que les navigateurs fantastiques n’ont rêvé d’îles et de ports, n’imaginait pas que sa découverte pût être un jour transportée dans un livre ou sur une carte par l’encre du typographe ou le lavis de l’enlumineur. Le découvreur était barbare, et le poète aussi. On n’avait inventé alors ni l’alphabet ni l’almanach.
On peut dire que c’est à l’invention des lettres qu’expire l’âge poétique du genre humain. En effet, ce qui imprimait à la pensée une sorte de caractère divin, c’est qu’elle semblait tenir de la Divinité même par son essence toute intellectuelle ; c’est qu’elle ne résidait que dans l’ame, et ne se communiquait qu’à l’ame ; c’est que son expression, comme celle de toutes les idées suprêmes dont la perception nous distingue de la brute, ne pouvait se manifester par des signes ; c’est que, propre et intime à la partie élevée de notre double nature, elle échappait, insaisissable, à nos organes de chair, comme le mystère de la création, comme la conscience des rémunérations futures, comme l’infini dans l’espace, comme l’éternité dans la durée ; c’est qu’elle révélait en nous, avec ses dérivations, la présence assidue d’un Dieu, sous les trois formes qui sont ses trois noms : la pensée, la parole et l’esprit.
Le premier qui s’avisa de matérialiser tout cela, de réduire à des figures sensibles les opérations de l’intelligence, et de donner, comme dit Brébeuf, du corps et de la couleur aux pensées, fit une grande chose sans doute, mais incomparablement plus grande qu’il ne pouvait l’imaginer : le malheureux tua l’ame.
Ce dut être une chose horrible pour le génie qui venait de créer les sociétés, que de se voir emprisonner dans des linéamens creusés au poinçon sur une tablette de cire, ou empreints avec une liqueur colorante sur une feuille de roseau.
Le siècle de vie était fini ; le siècle de mort commençait. La nature entière subit l’influence dégradante de l’homme matière substitué à l’homme intelligence par la grande révolution de l’écriture. Dieu, qui lui permet d’être puissant pour lui prouver qu’il est malheureux, abandonna la création à ses essais sacrilèges. Tout