insensées, et à faire peser sur le troupeau des peuples déjà si misérables une infirmité de plus, l’insatiable et vain besoin de participer à l’œuvre commune par les acquisitions de l’esprit ?
Ce que vous avez voulu faire de nous autres pauvres, depuis près d’un demi-siècle que vous êtes aux affaires, ce n’est pas tout-à-fait, j’en conviens, des îlotes comme à Sparte ; ce n’est pas tout-à-fait des esclaves comme à Rome : c’est ce que vous appelez plus élégamment des prolétaires, c’est-à-dire quatre-vingt-dix-neuf parties d’une nation dont la centième a le privilège exclusif de gouverner le pays, et qui ne sont bonnes, quant à elles, qu’à le peupler, à le cultiver, à le défendre, et à mourir pour sa sainte cause, en embrassant les étendards ingrats de la gloire et de la liberté !
Je ne poursuis pas ici la nue d’Ixion, comme disent vos classiques. Ce que j’écris, vous l’avez fait, et je suis convaincu que vous avez bien fait, parce que c’était une question vitale pour le monde tel qu’il est aujourd’hui, que de savoir par sous et deniers ce que valait un homme chez les peuples libres au dix-neuvième siècle. Maintenant la question est décidée ; et si elle ne l’était pas, il faudrait la décider comme elle l’est. Mais puisque vous l’avez fermé, ce compas de Popilius dont le cercle nous enveloppe tous, à l’exception de deux cent mille fortunes qui jouent gaiement à la bascule sur la tangente, ne nous forcez plus à savoir lire.
Pourquoi lire, je vous prie ? Vos discours, peut-être ?
Je sais que vous ne me passerez pas tous mes principes, mais je vous mets au défi de me contester un fait. Et savez-vous ce que c’est que les principes ? C’est la raison des faits.
Tout prolétaire qui sait quelque chose de plus que lire et écrire est un infortuné que vous tenez arbitrairement captif aux limbes de la civilisation.
Tout prolétaire qui ne sait que lire et écrire est pis encore. C’est un esprit faussé.
L’instruction universelle produit donc deux résultats d’un coup. Elle partage vingt-cinq millions d’hommes en deux classes : — les malheureux et les sots.