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MELCHIOR.



Vers la fin de l’année 1789 un pauvre pilote-côtier nommé Lockrist disparut, un jour de tempête, sous les récifs de la Bretagne. Il laissa deux fils : Henri, qui se maria et vécut comme il put de la pêche des harengs ; et James, qui s’embarqua en qualité de marmiton sous-cambusier.

Vingt ans après, James Lockrist, après avoir été successivement maître-coq d’un grand vaisseau de guerre, cuisinier du gouverneur des Indes, maître-d’hôtel de l’empereur de la Chine, et officier de la maison civile du roi de Camboge, s’établit à la côte de Malabar, et se mit à vivre dans l’opulence. Grâce aux richesses amassées au service de tant de maîtres, il se construisit une belle habitation dans le goût européen ; après quoi il épousa une riche Anglaise qui lui donna sept enfans.

En devenant mère du dernier, Mme  Jenny Lockrist mourut. Mais le climat brûlant de l’Inde eut bientôt dévoré sans pitié cette nombreuse postérité. Il n’en resta qu’une fille, la plus jeune, la plus fluette, la plus impressionnable, et par cela même la plus capable de résister à cette atmosphère de feu : faible roseau qui verdit souple et frêle là où ses frères plus robustes s’étaient desséchés.

En perdant un à un les héritiers prédestinés à son opulence, l’ex-cuisinier du fils du ciel (c’est ainsi qu’on appelle l’empereur de la Chine) se détacha presque de ces biens auxquels il semblait condamné à ne pouvoir associer personne. Il expérimenta combien le luxe a peu de prix pour un homme forcé d’en jouir seul. Sa maison lui sembla moins belle, ses bambous moins élégans, son titre de nabab moins glorieux ; en un