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REVUE DE PARIS.

prisonniers qui avaient reçu ses confidences, et qui, plus heureux que lui, virent un terme à leur infortune, cette victime d’une faute assurément moins grande que le châtiment fût restée tout-à-fait inconnue.

Quoi ! naître, — avoir vingt ans, — être jeté dans un cachot, — y mourir, — sans même laisser après soi la trace d’un pas ou le bruit d’une plainte !… Quoi ! souffrir et se dire : — La postérité pour moi n’aura point de larmes, et ne refera point le jugement de mes juges ! — Peut-il être au monde un sort plus affreux ?

Mais détournons bien vite notre esprit d’une réflexion aussi sombre. Venons sans préambule à l’histoire étrange ou plutôt au rêve que racontait notre prisonnier, et tâchons comme lui, au moyen de malheurs bien singuliers, sinon imaginaires, d’oublier des malheurs plus réels.

Brederode, que nous allons laisser parler lui-même, de peur d’altérer en rien la naïveté et l’originalité de sa parole, s’exprimait ainsi d’ordinaire :


II.


Un soir, je ne sais au juste quelle heure achevait de sonner à la paroisse Saint-Gervais, je traversais la Grève, et comme j’arrivais à l’une des extrémités de cette place, tout à coup une voix tonnante, partie d’un cabaret voisin, m’appela.

— Eh ! l’ami !… comte, deux mots ! entrez donc !

Après avoir hésité quelques instants, je me rendis à cette brusque invitation.

— Qui, diantre, m’appelle ici ?… Ah ! c’est vous, mon révérend ! m’écriai-je.

J’avais aperçu à table, vis à vis de quelques bouteilles, un moine avec lequel je me trouvais lié depuis peu, et qui, pour ne point contrarier l’usage, était fleuri au possible et passablement rebondi.

— Soyez le bienvenu, mon cher ami, me dit le cénobite, prenez un siège, et faites-nous l’honneur de trinquer avec nous. Goûtez, je vous prie, à ce coquin de petit vin d’Aquitaine. Allons donc, ne faites pas de façons. Buvons et disons gloire au Seigneur ! — À propos du Seigneur, avez-vous peur du diable ?

— Non, mon révérend.

— Vous n’avez pas peur du diable ! Vive Dieu ! vous êtes un homme ! emplissons nos verres, et portons un salut à sa santé !