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REVUE DE PARIS.

chose à laquelle je ne crois nullement, s’il m’advenait sur ce trésor cinquante mille louis pour ma part, j’achèterais immédiatement pour vingt mille louis d’encens, de myrrhe et de cinnamome, et pour trente mille de bois de cèdre et de santal, que je ferais porter triomphalement au beau milieu de la plaine de Saint-Denis, afin de prouver au moins une fois, en y mettant le feu, ce dicton mensonger et vulgaire, que la richesse, comme la gloire, n’est qu’une vaine famée.

— Ah ! pour le coup, pardonnez-nous cette franchise, c’est vous qui avez l’esprit égaré, monsieur le comte !… me cria-t-on là-dessus de toutes parts.

Ma proposition burlesque avait produit l’impression que j’en attendais : elle avait mis la gaieté à son comble.

Je laissai passer les premiers transports de cette hilarité, et, lorsque le bruit se fut assez apaisé pour qu’il me fût possible de placer quelques paroles, j’entrepris avec un grand sang-froid de démontrer à nos tapageurs qu’eux et non pas moi étaient en démence, leur apportant pour dernière preuve qu’il n’y avait que des insensés qui pussent ainsi vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.


IV.


À cette sage réflexion que j’avais lancée adroitement pour faire sentir à nos convives qu’ils s’oubliaient comme les soldats d’Annibal dans les délices de Capoue, le prieur fit avancer sur-le-champ des carrosses de place, où toute la tumultueuse compagnie ne tarda pas à se précipiter et à se ranger, chacun suivant ses affinités ou sa sympathie. Pour moi, je m’attachai à la personne de mon ami le cénobite, comme un enfant à la robe de son menin. Au milieu de ces inconnus et de ces ténèbres, il était ma colonne de feu.

Après un assez long et assez pénible trajet, qui n’offrit rien de bien digne de mémoire, nos modernes Argonautes arrivèrent enfin sur le territoire d’Arcueil.

Une personne affidée, qu’on avait apostée secrètement dans la campagne et qui faisait le guet, accourut aussitôt au-devant de nous, et nous ayant introduits dans l’enclos mystérieux, elle nous mena vers l’antre du prétendu trésor. L’antre du trésor était une caverne obscure, cela va sans dire ; que serait une caverne si elle n’était obscure ? que serait un traître s’il n’avait l’air rébarbatif et félon ?