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REVUE DE PARIS.

enceinte, nous plaça en sentinelles perdues, à diverses distances l’un de l’autre ; après quoi elle décrivit autour de nous des cercles magiques, et nous défendit expressément de sortir de ces anneaux mystérieux.

Lorsque minuit sonna, la jeune magicienne monta sur an tertre assez élevé, situé à peu près au milieu de toutes les sentinelles, et, détachant sa coiffure, elle laissa flotter ses longs cheveux sur sas belles épaules. Ensuite elle se dépouilla modestement de tous ses habits, ne gardant encore cette fois que le harnois de son fin jupon garni de valencienne.

Ce corps svelte et ravissant, éclairé et moiré par les rayons argentés de la lune, se dessinait sur des touffes de baguenaudiers, comme les amours de l’Albane sur des ramées vertes. Oh ! cela était délicieux ! cela avait quelque chose d’antique et de druidesque… Ah ! Suzanne, Suzanne, c’est toi qui recelais le précieux trésor.

Quand je vis de nouveau la pauvre enfant dans ce simple équipage, je lui criai du milieu de mon cercle magique, car je n’avais point renoncé à mon rôle de railleur : — Holà ! ma belle, mais une cuirasse vous conviendrait mieux ! Prenez garde, vous savez que le diable n’y allait pas de main morte, dans la caverne !

Aussitôt que le silence fut rétabli, Suzanne prit son grimoire ; elle s’agitait frénétiquement, elle murmurait des mots étranges et barbares, sans doute dans une de ces langues inconnues en usage dans les pays féeriques, et que possèdent si bien M. Lemaistre de Sacy et M. d’Herbelot.

Mais, peu satisfaite de ces premiers enchantements, elle s’ouvrit adroitement une veine, et, traçant avec une goutte de sang quelques caractères sur une feuille de chêne, elle la jeta au vent en poussant vers le ciel une singulière clameur.

À ce cri significatif, tout à coup cinq cavaliers magnifiques, ou plutôt cinq spectres vêtus de pourpre, de blanc, d’azur, de noir et d’aurore, apparurent dans les airs et vinrent caracoler au-dessus de sa tête, comme un reflet prismatique qu’un enfant se plaît à faire papillonner sur un mur. — Semblant s’élever soudain jusqu’à eux, Suzanne disparut bientôt, à notre grande stupéfaction.

Je ne sais ce que pouvaient être ces fantômes aériens, de quelle région ils venaient, ni dans quelle région ils l’emmenèrent ; mais ce que je sais bien, c’est que l’absence de notre magicienne se prolongeait beaucoup, et que chacun à son poste commençait à s’ennuyer considérablement.