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çonner extérieurement ce qui se vendait en ce lieu, il y avait, cloué sur un morceau de charpente, un bassin de cuivre ciselé, au fond duquel se distinguaient sous la rouille des arme» de blason, avec cette légende en langue et lettres étrangères : — Gold ist gut (l’or est bon).

Vous voyez par cette devise que maître Jean d’Anspach, joaillier de la couronne, ne se targuait pas d’hypocrisie, qu’il ignorait ou affectait d’ignorer absolument l’art vulgaire aujourd’hui de rougir de ses propres sentiments ; car si cet homme avait un défaut capital (hélas ! qui de nous est sans reproche ?) c’était celui d’aimer un peu trop la matière qu’il mettait en œuvre.

Il était venu autrefois, dans sa jeunesse, du margraviat d’Anspach, son pays, avec la trousse de cuir et le simple tablier de compagnon. Mais l’habileté qu’il avait acquise en Allemagne dans l’art d’exécuter sur les métaux précieux des incrustations et des nielles, n’avait pas tardé à faire de lui l’ouvrier à la mode, le bijoutier du roi et de la cour.

Laborieux et sobre, notre Allemand fit d’abord assez rapidement une fortune honorable, qui peu à peu, l’Apreté au gain s’en mêlant, finit par être, pour le temps et pour l’homme, véritablement colossale.

Certes, au milieu de tout son bonheur, il avait été d’une grande lésinerie ; certes il avait vendu dûment et cher de beaux joyaux au roi pour ses maîtresses, et aux maîtresses du roi pour leurs amans. Mais quelque profonde qu’eût été sa parcimonie, mais quelque nombreuses qu’eussent pu être ses fournitures d’anneaux, de pendants, d’écrins et de capses, pour Jacqueline de Bueil, pour la somptueuse Mme Gabrielle ou pour Mme de Verneuil, jamais ses richesses n’auraient atteint leur chiffre prodigieux s’il n’avait mêlé à ses travaux naturels de certaines opérations de finance, sourdes et sous-marines, d’une moralité plus douteuse, tel que le prêt sur gage et l’usure au denier vingt. Sa boutique avait été le champ où s’étaient fauchés bien des héritages en herbe ; la jeune noblesse surtout y avait perdu la fleur de ses écus, sinon la fleur de sa chevalerie.

En un mot, puisqu’il faut quelquefois appeler les choses par leur nom, maître Jean d’Anspach était une de ces âmes sales dont parle La Bruyère, pétries de boue et d’ordure, éprises de gain et d’intérêt, comme les belles âmes le sont de la vertu et de la gloire.

On ne voit pas communément sans quelque petit sentiment d’envie le bonheur le plus mérité descendre sur le toit du prochain, et c’est