Page:Revue de Paris - 1843, tome 16.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
237
REVUE DE PARIS.

à sa maison de plaisance. Et dès qu’il put s’y croire suffisamment encloisonné, il s’y enfonça dans la retraite la plus absolue, rompant pour ainsi dire avec toute créature et toute habitude humaines.

Ce nouveau genre de seigneur ne fut pas, comme on le pense bien, sans faire une vive sensation dans le pays. Au village, vous le savez, le moindre événement produit toujours l’effet d’une noix tombée parmi des singes. Mais ce qui vint mettre le comble à l’étonnement et exciter au plus haut point la curiosité générale déjà si fortement éveillée, ce fut une douzaine d’ouvriers allemands que maître Jean avait fait venir à grands frais de son pays d’Anspach.

Ces hommes, logés dans l’intérieur du château, y avaient passé plusieurs mois, et durant leur séjour on avait vu apporter une quantité considérable de matériaux divers, de pierres et de plâtre, de quoi faire une construction très importante.

Chacun s’était attendu naturellement à voir s’élever comme par enchantement quelque tour à observer les astres, ou tout au moins deux belles ailes s’ajouter au corps massif et caduc du vieux pavillon ; ce qui pourtant n’était guère dans les allures du bonhomme.

Cependant rien de semblable ne s’était fait, ni tour, ni ailes, ni donjon, pas la moindre bâtisse apparente. Peu à peu seulement les matériaux avaient semblé disparaître, et, un beau jour, les ouvriers allemands étaient repartis secrètement comme ils étaient venus, pour retourner sans doute dans le fond de leur détestable pays ; je veux dire dans le margraviat d’Anspach.

Quelle besogne de sorciers ces braves Teutons avaient-ils donc faite ? À quoi diable avaient-ils employé tant de temps et de matériaux ? On avait bien cherché à s’en rendre compte en espionnant par dessus les murs de clôture, mais on n’avait rien pu voir. On avait bien essayé quelques questions auprès des ouvriers, lorsqu’ils allaient d’aventure dans le village ; mais ces sauvages de la Germanie ne savaient pas un mot de français, et personne à Arcueil ne connaissait l’infernal patois de Luther. Il fallut donc s’en tenir aux conjectures, et, par compensation, il est vrai de dire qu’on ne s’en fit pas faute. Maître Jean avait l’esprit bien biscornu, bien bizarre, mais jamais certainement son cerveau détraqué et sa tête en délire n’auraient pu suffire à enfanter tous les projets saugrenus qu’on lui prêta généreusement dans cette occasion.

À partir de cette époque, la séquestration de maître Jean d’Anspach fut plus rigoureuse encore et plus complète. La porte ne s’ouvrit plus désormais que de loin à loin devant son jeune neveu, qui pre-