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LETTRES A « L’ÉTRANGÈRE »

I

A MADAME HANSKA

Paris, janvier 1833.

Madame,

Je vous supplie de séparer complètement l’auteur de l’homme, et de croire à la sincérité des sentiments que j’ai dû exprimer vaguement là où j’ai été obligé par vous de correspondre avec vous[1]. Malgré la défiance perpétuelle que quelques amis me donnent contre certaines lettres semblables à celles que j’ai eu l’honneur de recevoir de vous, j’ai été vivement touché par un accent que les rieurs ne savent point contrefaire. Si vous daignez excuser la folie d’un cœur jeune, et d’une imagination toute vierge, je vous avouerai que vous

  1. M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, entre les mains de qui sont les originaux de ces lettres — entièrement inédites — a raconté l’histoire de cette correspondance en détail sous le titre Un Roman d’amour (Figaro, 1er -6 janvier 1894). Madame Hanska, née comtesse Éveline (Ève) Rzewuska, qui avait alors vingt-six ou vingt-huit ans, habitait le château de Wierzchownia, en Volhynie. Lectrice enthousiaste des Scènes de la Vie privée, inquiétée par le tour différent que prenait l’esprit de l’auteur dans la Peau de chagrin, elle avait adressé, chez l’éditeur Gosselin, à Balzac, — alors âgé de trente-trois ans, — une lettre signée l’Étrangère, qui lui fut remise le 28 février 1832. D’autres suivirent ; celle du 7 novembre se terminait ainsi : « Un mot de vous, dans la Quotidienne, me donnera l’assurance que vous avez reçu ma lettre, et que je puis vous écrire sans crainte. Signez-le : A l’E… H. de B. » Cet accusé de réception parut dans la Quotidienne du 9 décembre. Ainsi fut inauguré le système de la « Petite correspondance », en pratique aujourd’hui dans divers journaux, et, du même coup, cette correspondance entre le grand homme et celle qui devait, dix-sept ans après, en 1850, devenir sa femme.