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importance au point de vue agricole, mais le sous-sol en constitue la principale richesse. Les mines d’or et d’argent y abondent. On prétend que jadis, au temps des Jésuites, leur production atteignait un chiffre mensuel de plusieurs millions. Beaucoup de légendes et d’histoires dramatiques se content à ce sujet : les galeries les plus riches auraient été obstruées en 1767, lors du renvoi des Jésuites, et les Indiens, depuis lors, auraient fidèlement gardé le secret de l’exploitation interrompue.

À deux cent cinquante kilomètres de La Paz, la petite ville de Loreto, assise au bord de la mer Vermeille, recueille ses souvenirs et reçoit des pèlerins : elle est encore le centre religieux du pays et l’on y vient de très loin allumer des cierges en l’honneur de la Vierge Marie. C’est là qu’en 1697 le missionnaire jésuite Salvatierra fonda la première mission fortifiée, pour la conquête du sol et la conversion obligatoire des indigènes, et c’est là aussi que, le 24 novembre 1768, le Père franciscain Junipero Serra, natif de Majorque, débarqua avec quinze autres Pères pour succéder aux Jésuites expulsés l’année précédente.

Il ne s’agissait pas seulement de conserver les missions des Jésuites, mais d’en créer de nouvelles, en montant vers le nord, par où pouvait venir l’Anglais, en ce temps-là le rival redouté de l’Espagnol. Le gouvernement de Madrid avait traité avec les Franciscains. Il assurait à chaque Père environ quatre cents piastres par an et leur donnait aussi quelques soldats pour les protéger. Ceux-ci devaient vivre dans un presidio proche de la mission. Il était entendu également que l’on établirait le plus tôt possible des pueblos ou villages destinés à devenir des centres de colonisation. Mais ces préoccupations matérielles tourmentaient peu la sainte âme du Père Junipero Serra. Il ne songeait, lui, qu’à baptiser les Indiens. Qu’importait le reste ? Le monde lui était indifférent : il restait insensible au charme des plus innocentes distractions et tenait les yeux fixés, par delà les horizons de la vie, sur une éternité naïvement paisible. Il était, d’ailleurs, bon et doux, et sa biographie, que son ami et successeur, le Père Palou, nous a laissée, légitime fort bien l’enthousiasme avec lequel la Californie, en 1884, a célébré le centenaire de sa mort.