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sur la côte de californie

Quand vous aurez passé les montagnes de Santa-Ynez et aperçu la plaine de Santa-Barbara et l’océan Pacifique semé de grandes îles lumineuses, ce sera la Californie du Sud, plus exubérante, plus chaude de teintes, presque tropicale par endroits. Vous irez visiter la mission de Santa-Barbara qui seule est intacte, et le vieux franciscain irlandais qui entr’ouvre d’un air bougon la porte vermoulue sourira presque, s’il sait que vous venez de Paris. Vous attacherez votre cheval à l’ombre d’un poivrier et vous écouterez la fontaine qui joue dans le grand silence de midi, tandis qu’une avalanche de soleil tombe sur la terrasse blanche et que les cactus et les aloës détachent sur les murs de pisé leur dentelure bleue.

Autour de Santa Barbara il y a beaucoup de ranchs pour la culture des citrons, des olives, des oranges. Les citronniers sont plantés en quinconce, espacés respectueusement comme de grands personnages. Entre eux circulent les tuyaux d’irrigation : sous les feuilles vernissées se cachent les gros fruits d’or.

L’eau vient de la montagne où sont aussi les vaqueros préposés à la garde des animaux. Vous irez les voir : ce sont de beaux gars mexicains, hardis cavaliers et joyeux chanteurs. Ils passent, là-haut, des nuits musicales, la guitare à la main, sous la surveillance d’un vieux patriarche qu’ils appellent « l’oncle » et dont ils suivent les instructions au pied de la lettre. Quand l’oncle est soûl, les vaqueros se grisent pour lui tenir compagnie. Ils ne parlent qu’espagnol et se marient entre eux. Ils descendent de temps en temps à Santa-Barbara pour un grand bal qu’ils organisent et dans lequel ils exécutent, au travers des danses, mille tours d’adresse que leur suggère leur imagination fertile de séducteurs. Ils prennent aussi leur part du carnaval fleuri qui se déroule, une fois l’an, par les rues de la ville.

Cela, c’est tout ce qui reste de la vieille Californie mexicaine, échappée au joug des missions, non encore utilisée par l’industrieux Yankee, insouciante et frivole. En ce temps-là, comme aujourd’hui, la « bianca flores », la fleur d’amour, modeste et pâle, dont le nom revient si souvent dans les chansons des vaqueros, exhalait le long des sentiers son parfum pénétrant, les cricris jasaient aux approches de la nuit, les serpents à sonnettes sifflaient sous les herbes, et la houle