Les expressions même choisies par Montesquieu rendent imparfaitement les idées qu’il voulait exprimer. Le mot législatif définit mal le pouvoir délibératif du Parlement qui consiste non pas uniquement à faire des lois mais à décider les mesures d’intérêt général, y compris le budget, les traités et les enquêtes. Le mot exécutif ne recouvre qu’une faible partie des attributions du pouvoir agissant : il semble le réduire à la fonction d’exécuter ce qu’un autre pouvoir lui commande. Kant, adoptant cette classification, en est venu à distinguer le législatif qui ordonne, le judiciaire qui applique, l’exécutif qui exécute : ainsi compris, a-t-on dit, le gouvernement se concentre dans les fonctions d’huissier et de garde-chiourme. Mais l’énumération donnée par Montesquieu des fonctions de l’exécutif reste très incomplète, étant limitée par la définition arbitraire (probablement empruntée à Locke), « la puissance d’exécution des choses qui dépendent du droit des gens », elle se borne à « faire la paix ou la guerre, envoyer ou recevoir des ambassades, établir la sûreté, prévenir les invasions », c’est-à-dire aux affaires militaires et diplomatiques et peut-être à la police ; elle laisse en dehors non seulement toutes les entreprises d’utilité publique mais même tous les rapports avec les particuliers et les autorités locales qui forment l’administration proprement dite.
Ces expressions inexactes ont eu l’inconvénient de troubler les notions naturellement confuses du public sur les faits compliqués de la vie politique. Une autre impropriété de termes a eu des conséquences beaucoup plus graves. En parlant de la séparation des pouvoirs, Montesquieu a donné l’impression que chacun des trois pouvoirs devait être constitué séparément, enfermé dans son domaine propre, entouré de barrières pour le défendre contre les entreprises de chacun des deux autres. Quelques passages à la fin du chapitre montrent cependant qu’il ne se représentait pas les pouvoirs comme entièrement indépendants : il accorde à l’exécutif la faculté d’empêcher, au législatif la faculté d’examiner. Mais ces restrictions ont moins frappé les lecteurs que les définitions générales : et comme il n’a donné une théorie précise ni de la collaboration nécessaire entre les pouvoirs, ni des conflits possibles ni des moyens de les éviter ou de les résoudre, la séparation des pouvoirs est