Page:Revue de Paris - 1897 - tome 4.djvu/484

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c dépit.

Et pour ne point se laisser entraîner à dire quelque chose de plus amer, il se leva brusquement et rentra dans la maison.

On n’entendait pas le moindre bruit. Du jardin, par les fenêtres ouvertes, pénétrait le parfum de la belle-de-nuit. Dans la salle vaste et sombre, la lune dessinait des taches claires sur le piano et sur le parquet. Kovrine se rappela les instants d’allégresse qu’il avait goûtés ici même, l’été dernier, à la clarté de la lune et au parfum de la belle-de-nuit.

Pour ranimer encore en lui cette sensation d’allégresse, il se dirigea vivement vers son cabinet de travail, alluma un bon cigare et pria le domestique de lui apporter du vin. Mais le cigare avait un goût nauséabond, André en eut la bouche amère ; et le vin n’était plus lui-même aussi bon que l’année d’avant.

Et puis, comme il en avait perdu l’habitude, pour avoir fumé un cigare et bu un peu de vin, il eut des vertiges et des battements de cœur, et il dut prendre une dose de bromure.

Avant de se coucher, Tania dit à son mari :

— Mon père t’adore. Tu lui en veux, je ne sais pourquoi, et cela le tue. Regarde-le seulement : il vieillit à vue d’œil. Je t’en supplie, André, je t’en conjure, par la mémoire de ton père, par mon repos, sois plus aimable envers lui.

— Je ne le puis, ni ne le veux.

— Mais pourquoi ? — demanda la jeune femme avec angoisse — Dis-moi seulement pourquoi !

— Parce qu’il ne m’est pas sympathique, voilà tout, — répondit Kovrine en haussant les épaules. — Mais n’en parlons plus, puisque c’est ton père.

— Je ne peux pas comprendre ! gémit Tania. Quelque chose d’inconcevable, d’effroyable se passe chez nous. Tu es tout à fait changé, tu n’es plus le même... Toi, l’homme supérieur, intelligent, tu t’irrites à tout propos, lu prends souci de choses que tu devrais même ignorer... Quelquefois tu t’agites pour si peu que j’en demeure stupéfaite, et je finis par me demander si c’est bien toi ou un autre... Allons, ne te fâche pas, ne te fâche pas, reprit-elle en lui embrassant les mains, dans un effroi d’avoir dit ces paroles. Tu es intelligen