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Page:Revue de Paris - 1897 - tome 4.djvu/486

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faible et tombait dans une espèce de somnolence. Il ne s’en effrayait pas trop, car il savait que sa mère avait assez longtemps vécu avec la maladie dont il souffrait ; et puis les médecins lui assuraient que son état n’avait rien d’inquiétant, et qu’il devait seulement se soigner : éviter les émotions, mener une vie régulière et parler le moins possible.

Au mois de janvier, la première leçon fut encore ajournée pour la même cause, et, en février, il était déjà trop tard pour commencer le cours. Il fallut donc en différer l’ouverture jusqu’à l’année suivante.

André vivait alors, non plus avec Tania, mais avec une autre femme qui avait deux ans de plus que lui, et qui le soignait comme on soigne un enfant. Il était maintenant d’une humeur paisible et docile ; et lorsque Varvara iNikolaïevna — c’était le nom de sa compagne — proposa de l’emmener en Crimée, il ne s’y refusa point, bien qu’il eût le pressentiment que ce voyage n’aboutirait à rien de bon.

Ils arrivèrent à Sébastopol dans la soirée et descendirent dans un hôtel afin d’y passer la nuit et de repartir le lendemain pour Yalta. Tous les deux étaient fatigués de la route. Varvara Nikolaïevna, après avoir pris son thé, se coucha, et s’endormit aussitôt. Mais André ne se mit pas encore au lit. Avant son départ de Saint-Pétersbourg, il avait reçu de Tania une lettre qu’il n’avait pas eu jusqu’ici le courage de lire. Elle était là, dans sa poche, et cette pensée l’agitait beaucoup.

Au fond, il considérait son mariage avec Tania comme une erreur, et il était fort content de s’en être séparé une fois pour toutes. Le souvenir de cette femme, qui avait fini par se transformer en un vrai squelette où tout semblait mort, excepté ses grands yeux intelligents, — ce souvenir n’évoquait en lui qu’un sentiment de pitié et de dépit contre lui-même.

L’écriture de l’adresse lui rappela combien il s’était montré cruel et injuste, environ deux années auparavant, et comme il déchargeait alors sur d’innocentes créatures son humeur noire, son ennui solitaire, son dégoût de la vie. André se souvint, à ce propos, d’avoir une fois déchiré en petits morceaux sa thèse et tous les articles qu’il avait écrits durant sa maladie ; il les lançait par la fenêtre, et les fins carrés de papier,