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LA REVUE DE PARIS

ours, debout… Je les sais inoffensifs, et du reste leurs figures, que les tatouages rendent farouches au premier abord, sont d’une enfantine douceur ; ils ne m’inspirent aucune crainte raisonnée ; mais c’est égal, pour moi qui, la première fois de ma vie, pénètre dans une île du Grand Océan, il y a un frisson de surprise et d’instinctif effroi à sentir si près tous ces yeux et toutes ces haleines, avant jour, sur un rivage désolé et par un temps noir….

Maintenant le rythme de la chanson se précipite, le mouvement des têtes et des reins s’accélère, les voix se font rauques et profondes ; cela devient, dans le vent et dans le bruit de la mer, une grande clameur sauvage menant une danse furieuse.

Et puis, brusquement : cela s’apaise. C’est fini. Le cercle s’ouvre et les danseurs se dispersent… Que me voulaient-ils tous ? Enfantillage quelconque de leur part, ou bien conjuration, ou bien encore souhaits de bienvenue ?… Qui peut savoir ?…

***

Un vieil homme très tatoué, portant sur la chevelure de longues plumes noires, quelque chef sans doute, me prend par une main ; Petero me prend par l’autre ; tous deux en courant m’emmènent, et la foule nous suit.

Ils m’arrêtent devant une de ces demeures en chaume qui sont là partout, aplaties parmi les roches et le sable, ressemblent à des dos de bête couchée.

Et ils m’invitent à entrer, ce que je suis obligé de faire à quatre pattes, en me faufilant à la manière d’un chat qui passe par une chatière, car la porte, au ras du sol, gardée par deux divinités en granit de sinistre visage, est un trou rond, haut de deux pieds à peine.

Là dedans, on n’y voit pas, surtout à cause de la foule qui se presse et jette de l’ombre alentour ; il est impossible de se tenir debout, bien entendu, et, après les grands souffles vivifiants du dehors, on respire mal, dans une odeur de tanière.

À côté de la cheffesse et de sa fille, on m’invite à m’asseoir sur des nattes ; on n’a rien à m’offrir comme cadeau et je comprends, à certaine mimique éplorée, qu’on s’en excuse.