Page:Revue de Paris - 1899 - Tome 2.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
247
L’ÎLE DE PÂQUES

Il va falloir que je dessine les statues sous toutes les faces et pour tout le monde… Tant qu’on voudra, pourvu qu’on m’emmène[1]


IV
6 janvier.

Avant quatre heures du matin, par une nuit encore noire, sous un ciel épais, nous quittons la frégate. Et avant jour nous atteignons la plage, choisissant pour débarquer un point difficile et solitaire, afin de ne pas donner l’éveil aux indigènes qui, tous, voudraient nous suivre. Nous sommes quatre de l’état-major, le commandant, deux officiers et moi ; le vieux Danois et un Maori de confiance nous guident ; trois matelots rompus à la marche nous suivent, portant à l’épaule notre déjeuner et le leur. Du côté des cases, là-bas, on voit briller des feux dans l’herbe.

D’abord nous passons près du maraï dévasté hier, dont l’aspect est sinistre. Le ciel est voilé tout d’une pièce, sauf une déchirure, au raz de l’horizon oriental, qui laisse voir une lueur jaune annonçant la fin de la nuit.

Tous à la file, à travers l’herbe mouillée, nous nous dirigeons vers l’intérieur de l’île, qu’il faudra traverser d’un bord à l’autre, et, au bout d’une demi-heure, derrière un repli de colline, la mer et les feux lointains de la frégate disparaissent pour nos yeux, ce qui nous isole soudainement davantage. Nous nous enfonçons dans cette partie centrale de l’île que couvre, sur la carte du commandant, le mot Tekaou-hangoaru écrit en grosses lettres de la main de l’évêque de Tahiti. Tekaouhangoaru est le premier des noms que les Polynésiens donnèrent à ce pays ; plus encore que le nom de Rapa-Nui, il sonne la sauvagerie triste, au milieu de vent et ténèbres.

Dans les temps mêmes où la population était nombreuse, il paraît que ce territoire central restait inhabité. Il en va de même, d’ailleurs, dans les autres îles peuplées par les Maoris,

  1. Nous sommes en 1872. On n’avait encore inventé ni les photo-jumelles, ni les kodaks, et personne à bord ne faisait de photographie. — P. L.