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songeait probablement guère aux questions qui nous occupent lorsqu’il écrivait un article sur l’anarchie littéraire. On en pourrait écrire un autre sur l’anarchie musicale. De malheureux jeunes gens sont actuellement persuadés que les règles doivent être mises au rebut, qu’il faut se faire des règles à soi-même suivant son tempérament particulier ; ils retournent à l’état sauvage de la musique, au temps de la diaphonie ; quelques-uns en arrivent à écrire des choses informes, analogues à ce que font les enfants quand ils posent au hasard leurs petites pattes sur le clavier d’un piano…

Richard Wagner n’a pas procédé ainsi : il a plongé profondément ses racines dans le terreau de l’école, dans le sol nourricier de Sébastien Bach ; et, quand il s’est forgé plus tard des règles à son usage, il en avait acquis le droit.

Un autre danger est celui que courent les critiques wagnériens peu éclairés — il y en a — qui ne veulent pas connaître d’autre musique que celle de Richard Wagner, ignorent tout le reste et se livrent, faute de sujets de comparaison, à des appréciations bizarres, s’extasiant sur des futilités, s’émerveillant des choses les plus ordinaires. C’est ainsi qu’un écrivain soi-disant sérieux mandait un jour à un chef d’orchestre, auquel il donnait force conseils, que dans la musique de Wagner, crescendo et diminuendo signifiaient « en augmentant et en diminuant le son ». C’est comme si l’on venait dire que dans les œuvres de Molière, un point placé à la suite d’un mot avertit le lecteur que la phrase est terminée.

Il y aurait une anthologie bien amusante à faire avec les erreurs, les non-sens, les drôleries de toute sorte qui pullulent dans la critique wagnérienne, sous l’œil du public innocent. Je laisse ce soin à de moins occupés.


c. saint-saëns