Page:Revue de Paris - 1899 - Tome 2.djvu/836

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en tout temps, une honte. La Loi le dit. Et pourtant Hathi avoue...

— Demande-le-lui. Je ne sais pas, Petit Frère. Droit ou pas, si Hathi n'avait parlé, j'aurais donné à ce boucher boiteux la leçon qu'il mérite. Venir au Roc de la Paix, tout frais encore du meurtre d'un Homme — et s'en vanter. C'est le fait d'un chacal. En outre, il a souillé la bonne eau.

Mowgli attendit une minute pour prendre courage, car personne ne se souciait de s'adresser directement à Hathi; puis il cria :

— Quel est ce droit de Shere Khan, ô Hathi ?

Les deux rives firent écho à sa demande, car tout le Peuple de la Jungle est singulièrement curieux, et il venait d'assister à quelque chose que personne, sauf Baloo, qui paraissait très pensif, ne semblait comprendre.

— C'est une vieille histoire, dit Hathi, une histoire plus vieille que la Jungle. Gardez le silence le long des rives et je vais vous la conter.

Il y eut une minute ou deux de poussées et d'épaulées parmi les sangliers et les buffles; puis les chefs des troupeaux grognèrent l'un après l'autre :

— Nous attendons.

Et Hathi s'avança dans la rivière à grandes enjambées, jusqu'à ce que l'eau touchât presque ses genoux, devant le Roc de la Paix. Quelque maigre et ridé qu'il fût, avec des défenses jaunies, il paraissait bien ce pour quoi le tenait la Jungle, leur maître à tous.

— Vous savez, enfants, commença-t-il, que de tous les êtres, le plus à craindre pour vous, c'est l'Homme.

Il y eut un murmure d'assentiment.

— Cette histoire te concerne, Petit Frère, dit Bagheera à Mowgli.

— Moi ? Je suis du Clan, chasseur du Peuple Libre, répondit Mowgli. Qu'ai-je à faire avec l'Homme ?

— Et vous ne savez pas pourquoi vous craignez l'Homme ? continua Hathi. En voici la raison : « Au commencement de la Jungle, et nul ne sait quand cela était, nous autres de la Jungle marchions de compagnie, sans aucune crainte l'un de