Page:Revue de Paris - 1900 - tome 4.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
LA REVUE DE PARIS

cri affolé : « Va, cours ! Elle t’attend ! » Sur ce quai tranquille, entre cette eau paresseuse et ces verres délicats, dans cette île de l’ennui, la face du danger lui réapparut fulgurante.

Mais un fâcheux, interrompant leur marche, leur offrit de les conduire à la fournaise la plus proche.

— Entrons, entrons, — dit-elle, prompte à suivre l’homme et à s’enfoncer dans le passage comme dans un refuge, pour éviter la honte de la rue, la lumière profane du jour sur sa perdition.

Le lieu était humide, taché de salpêtre, plein d’une odeur saumâtre comme un antre marin. Ils traversèrent une cour encombrée de bois à brûler, franchirent une porte vermoulue, arrivèrent au séjour du feu, se trouvèrent enveloppés par la brûlante haleine, s’arrêtèrent devant le grand autel incandescent qui donnait à leurs prunelles un éblouissement douloureux, comme si tout à coup leurs cils se fussent enflammés.

« Disparaître, être engloutie, ne pas laisser de trace ! » rugissait le cœur de la femme, ivre de destruction. « En une seconde, ce feu pourrait me dévorer comme un sarment, comme un fétu de paille. » Et elle s’approchait des bouches ouvertes par où l’on voyait, fluides, plus resplendissantes que le midi d’été, les flammes s’enrouler aux pots de terre où fondait, encore informe, le minerai que les ouvriers, postés à l’entour, derrière les parafeux, atteignaient avec un tube de fer pour le façonner par le souffle de leurs lèvres et par les outils de leur art.

« Vertu du feu ! » pensait l’animateur, soustrait à son inquiétude par la miraculeuse beauté de cet élément qui lui était familier comme un frère, depuis le jour où il avait trouvé la mélodie révélatrice. « Ah ! pouvoir donner à la vie des créatures qui m’aiment les formes de la perfection à laquelle j’aspire ! Pouvoir fondre toutes leurs faiblesses dans la plus haute ferveur, et faire d’elles une matière obéissante où j’imprimerais les commandements de ma volonté héroïque et les images de ma poésie pure ! Pourquoi, mon amie pourquoi ne voulez-vous pas être la divine statue changeante que modèlerait mon esprit, l’œuvre de foi et de douleur par laquelle notre vie pourrait surpasser notre art ? Pourquoi