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LA REVUE DE PARIS

s’était entretenu de la demeure d’Éole et de ses douze fils et de l’atterrissage du fils de Laërte à l’île occidentale. Il relut Homère, Virgile et Ovide, dans les belles impressions aldines. Puis, il alla trouver un mage esclavon qui avait la renommée d’enchanter les Vents en faveur des longues navigations :

« Mi gavaria bisogno de un ventesèlo né tropo forte né tropo fiapo, docile, da podermelo manipolar come che vogio mi, un ventesèlo che me serva per supiar certi veri che go in testa… Lenius aspirans aura secunda venitM’astu capto, vechio[1] ? »

Le conteur eut un sonore éclat de rire, parce qu’il voyait la scène avec tous ses détails dans une maison sise rue de la Testa, à San-Zanepolo, où l’Esclavon vivait avec sa fille Cornelia l’Esclavonette, honorata cortegiana (piezo so pare, scudi)[2].

Cossa galo ? Savàrielo ? [3] — pensaient les deux gondoliers, surpris d’entendre Stelio mêler des paroles de leur langue aux syllabes obscures.

La Foscarina essayait de seconder cette gaieté ; mais elle souffrait du rire juvénile comme naguère dans les détours du labyrinthe.

— L’histoire est longue, dit-il encore. Un jour, j’en ferai quelque chose. Je me la réserve pour une saison de loisirs… Imagine ! L’Esclavon fait le sortilège. Dardi envoie chaque nuit les marins aux Trois-Ports pour dresser l’embuscade au Venticello. Une nuit enfin, peu avant l’aube, au moment où la lune se couche, ils le surprennent endormi sur un banc de sable, au milieu d’une troupe d’hirondelles lasses qu’il conduisait… Il est là, couché sur le dos, respirant aussi légèrement qu’un enfant, dans l’arôme salin, presque recouvert par les innombrables queues fourchues ; la houle berce son sommeil ; les noires et blanches voyageuses palpitent sur lui, fatiguées du long vol…

— Oh ! doux ami ! — s’écria-t-elle, à cette fraîche peinture. — Où as-tu vu cela ?

  1. « Il me faudrait un petit vent ni trop fort ni trop faible, bien docile, que je pourrais manier comme je voudrais ; un petit vent qui me servirait pour souffler certains verres que j’ai en tête… Lenias aspirans aura secunda venit… M’as-tu compris, vieux ? »
  2. « Honorable courtisane (chez son père, deux écus). »
  3. « Qu’est-ce qu’il a ? Devient-il fou ? »