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LA REVUE DE PARIS

s’élever passât comme un réveil ou comme l’annonce de quelque grand retour. L’âme de la femme s’y abandonna toute comme une feuille à un tourbillon, et elle fut ravie aux sommets de l’amour et de la foi. Mais l’impatience fébrile de l’action, la hâte d’entreprendre, le besoin d’exécuter, assaillirent le jeune homme. Sa capacité de travail sembla se multiplier. Il se représenta la plénitude de ses heures à venir. Il vit les aspects concrets de son œuvre, l’entassement des pages, et les parties d’orchestre, et la variété de la besogne, et la richesse des matières aptes à recevoir le rythme. Il vit de la même façon la colline romaine, l’édifice naissant, l’équilibre des pierres taillées, les ouvriers appliqués au maçonnage, l’architecte vigilant et sévère, la masse du Vatican vis-à-vis du Théâtre d’Apollon, la ville sainte étendue au dessous. Il évoqua en souriant l’image de ce petit homme qui soutenait l’entreprise avec une magnificence papale ; il salua la figure exsangue et nasue de ce prince romain qui, ne forlignant pas de l’honneur de son nom, employait l’or accumulé durant des siècles de rapine et de népotisme à élever un temple harmonieux consacré à la renaissance des Arts qui avaient illuminé de beauté la vie forte de ses ancêtres.

— Dans une semaine, Fosca, mon Prélude sera terminé, si la grâce m’assiste. Je voudrais tout de suite l’essayer à l’orchestre. Peut-être irai-je à Rome pour cela. Antimo della Bella est plus impatient que moi-même. Presque chaque matin, je reçois une lettre de lui. Je crois que ma présence à Rome pour quelques jours sera nécessaire aussi afin d’empêcher certaines erreurs dans la construction du Théâtre. Antimo m’écrit que l’on discute sur l’opportunité d’abattre le vieil escalier de pierre qui, du jardin des Corsini, monte au Janicule ! Je ne sais si tu as dans la mémoire l’image de ce lieu. La rue qui conduira au Théâtre, après avoir passé sous l’Arc de Septimius, contourne le flanc du Palais Corsini, traverse le jardin et arrive au pied de la colline. La colline — tu l’as dans la mémoire ? — est toute verdoyante, couverte de petites prairies, de roseaux, de cyprès, de platanes, de lauriers et d’yeuses : elle a un aspect silvestre et sacré, avec sa couronne de hauts pins d’Italie. Sur la pente se trouve une véritable forêt d’yeuses, arrosée par des courants souter-