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LE FEU

terre et avec le ciel surgit l’esprit génial de la divination. L’arbre est à son heure la plus délicate, lorsque sa sensibilité réveillée afflue dans les bourgeons qui se gonflent et sont près de s’ouvrir. Et l’homme, avec son fer impitoyable, doit régler l’équilibre dans le mystérieux mouvement de la sève ! L’arbre est là, encore intact, ignorant d’Hésiode et de Virgile, en travail pour sa fleur et pour son fruit ; et chaque branche dans l’air est vivante comme l’artère dans le bras de celui qui taille. Quelle est celle qui sera taillée ? La sève guérira-t-elle la plaie ?… Ainsi me parlais-tu, certain jour, de ton verger. Je me rappelle. Tu me disais que toutes les blessures devaient être tournées au septentrion, pour que le soleil ne les vît pas…

Elle parlait comme ce soir lointain de novembre, quand le jeune homme était arrivé chez elle, haletant, à travers la bourrasque, après avoir transporté le héros.

Il sourit. Et il se laissait entraîner par la chère main. Et il sentait l’odeur de la branche fleurie, pareille à l’odeur d’un lait un peu amer.

— C’est vrai, — dit-il. — Et Láimo, qui pétrissait dans le mortier l’onguent de Saint-Fiacre, et Sofia, qui lui apportait la toile forte pour bander les plus larges plaies, après le pansement…

Il revoyait le paysan à genoux, qui, dans le mortier de pierre, pétrissait la fiente de bœuf, l’argile et les balles d’orge, selon les règles de l’antique sagesse.

— Dans dix jours, — continua-t-il, — toute la colline, vue de la mer, sera comme un nuage frais et rosé. Sofia m’a écrit pour m’en faire souvenir… Elle ne t’est point réapparue ?

— Elle est avec nous, maintenant.

— Maintenant, elle s’approche de la fenêtre et regarde la mer qui s’empourpre ; et notre mère, accoudée près d’elle, lui dit : « Qui sait si Stelio n’est pas sur ce voilier qui est en panne devant le chenal pour attendre le vent ? Il m’a promis de revenir à l’improviste par la voie de la mer, sur une goélette… » Et le cœur lui fait mal.

— Ah ! pourquoi trompes-tu son attente ?

— Oui, Fosca, tu as raison. Je peux vivre loin d’elle