Page:Revue de Paris - 1900 - tome 4.djvu/425

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
419
LE FEU

Et ses yeux se remplirent de larmes, à ces paroles sourdes où elle avait senti la profondeur de la passion virile, le besoin héroïque de la domination morale, le ferme propos de se surpasser soi-même et de forcer sans trêve son destin.

— Tu le sais !

Et elle eut le frisson que donnent les spectacles fiers ; et, devant cette volonté courageuse, tout le reste lui parut vain ; et les autres larmes, celles qui avaient voilé ses yeux à l’offrande des fleurs, lui parurent féminines et viles en comparaison de celles qui maintenant lui montaient aux paupières et qui seules étaient dignes d’être bues par son ami.

— Eh bien, va en paix : retourne à ta mer, à ta terre, à ta maison. Rallume ta lampe avec l’huile de tes oliviers !

Il serrait les lèvres, et un sillon s’était creusé entre ses sourcils.

— La bonne sœur viendra encore mettre un brin d’herbe sur la page difficile.

Il pencha son front alourdi par une pensée.

— Tu te reposeras en parlant avec elle, à la fenêtre ; et peut-être verrez-vous repasser les troupeaux voyageant de la plaine vers la montagne.

Le soleil allait toucher la gigantesque acropole des Dolomites. La phalange des nuages s’agitait comme dans un combat, traversée par d’innombrables dards de lumière, et se couvrait d’un sang merveilleux. Les eaux élargissaient l’immense bataille livrée aux environs des tours inexpugnables. La mélodie s’était dissoute dans l’ombre des îles déjà éloignées. Tout l’estuaire se couvrait d’une sombre et guerrière magnificence, comme si une myriade d’étendards s’y fut inclinée. Et le silence n’attendait qu’un éclat de trompettes impériales.

Il dit, lentement, après une longue pause :

— Et si elle m’interroge sur le destin de la vierge qui lit la lamentation d’Antigone ?

La femme tressaillit.

— Et si elle m’interroge sur l’amour du frère qui fouille les tombeaux ?

La femme eut peur de ce fantôme.

— Et si la page où elle pose le brin d’herbe est celle où