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LA REVUE DE PARIS

ne vaut ces quelques pas que nous avons faits ensemble aujourd’hui.

Elle continuait son chemin, tête basse, enveloppée par l’illusion. « Cela pourrait-il être ? » Elle sentait autour de ses flancs sa stérilité, comme une ceinture de fer ; elle songeait à la ténacité inexorable des maux enracinés dans la chair brute. Mais la puissance de sa passion et de son désir, fortifiée par une idée de justice, lui apparaissait assez forte pour accomplir un prodige. Et ce qu’il y avait de superstitieux dans sa nature, s’élevant pour voiler sa lucidité, favorisait l’espérance naissante. « Ai-je aimé une seule fois avant cette fois-ci ? N’ai-je pas, durant toute la suite de mes années, attendu ce grand amour qui doit me sauver ou me détruire ? De ceux-là qui ont accru ma tristesse, quel est celui dont j’aurais voulu un fils ? N’est-il pas juste qu’une vie nouvelle sorte de ma vie, maintenant que j’ai fait à mon seigneur le don entier de moi-même ? Ne lui ai-je pas apporté intact mon rêve de vierge, le rêve de Juliette ? Toute mon existence, depuis ce soir de printemps jusqu’à une nuit d’automne, n’est-elle pas abolie ? » Elle voyait l’Univers transfiguré par son illusion. Le souvenir de sa mère lui donnait de l’amour maternel une image sublime. Les yeux cléments et fermes se rouvraient en elle, et elle priait : « Oh ! dis-moi que, moi aussi, je serai pour une créature de ma chair et de mon âme ce que tu as été pour moi ! Réconforte-moi, toi qui sais ! » La solitude de son passé lui réapparut, épouvantable. Dans l’avenir, elle ne vit que la mort ou cette chance de salut. Elle se dit que, pour mériter ce salut, elle supporterait toutes les épreuves ; elle le considéra comme une grâce à obtenir ; elle fut envahie par une religieuse ardeur de sacrifice. Il semblait que la fébrile palpitation de la lointaine adolescence évoquée se renouvelât dans ce trouble et que, comme alors, elle marchât sous le ciel poussée par une force presque mystique.

Elle allait à la rencontre de Donatella Arvale, dont la figure se dessinait sur l’horizon enflammé, au fond d’une rue ouverte vers l’eau calme. Et sa première question, si imprévue, résonnait de nouveau en elle : « Pensez-vous souvent à Donatella Arvale, Stelio ? »