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LA REVUE DE PARIS

elle s’étonnait de voir ce verre briller dans sa main ; elle n’avait plus le sentiment de son propre corps. Tout ce qui arrivait n’était qu’imaginaire. Elle s’appelait Perdita. La Saison morte gisait au fond de la lagune. Les paroles étaient des paroles.

— Pourrais-je l’aimer ?

Un souffle encore, et l’obscurité se faisait. De même que la flamme d’une chandelle s’incline sous le vent et paraît se détacher de la mèche, mais toutefois y reste adhérente par un fil d’azur, par une sorte de pâle étincelle qui tout à coup se rallumera et se redressera si le vent cesse, de même la raison de la malheureuse fut sur le point de s’éteindre. Sur elle passa le vent de la folie. La terreur blanchit et bouleversa son visage.

Il ne la regardait pas ; il avait les yeux fixés sur les pierres.

— Si je la rencontrais encore, pourrais-je désirer de tourner vers moi son destin ?

Il revoyait la personne juvénile, aux reins arqués et puissants, dressée au-dessus de la forêt sonore, parmi le mouvement alternatif des archets qui semblaient tirer leur note de l’occulte musique renfermée en elle.

— Peut-être.

Il revoyait ce visage hermétique, presque adamantin, préoccupé par une pensée très secrète, et ce froncement des sourcils qui le rendait hostile.

— Mais qu’importerait cela ? Et que pourraient toutes les vicissitudes et toutes les nécessités de l’existence contre la foi qui nous lie ? Pourrions-nous ressembler à ces petits amants qui passent leurs journées à se quereller, à pleurer et à maudire ?

Elle serra les dents. Elle fut assaillie par l’instinct sauvage de se défendre et d’offenser, comme dans une lutte sans espoir. Sur les incertitudes de sa pensée jaillirent les éclairs d’une volonté homicide,

« Non, tu ne l’auras pas !» Et la brutalité de son tyran lui parut monstrueuse. Il lui sembla qu’elle saignait sous les coups mesurés et réitérés comme cet homme qu’elle avait vu dans une ville des mineurs, sur le chemin blanc. L’horrible scène lui revenait à la mémoire : l’homme atterré par un