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Page:Revue de Paris - 1900 - tome 6.djvu/21

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la route de l’exil

rencontrent. Le petit chariot qui m’appartient a été également mis à l’abri. M. d’Aigremont me dit bien de me pourvoir à Paris d’un ordre pour pouvoir les faire reprendre, mais c’est précisément ce que je ne veux et ne puis faire.


3 avril. — Je n’ose faire aucune démarche pour réclamer mes chevaux, j’évite d’attirer l’attention sur moi, et je me dissimule le plus que je puis. Le 30 mars, Napoléon a donné l’ordre de faire le dépouillement de tous les officiers de la Maison, et d’arrêter tous ceux qui pourraient être dangereux. Voilà deux nuits que je découche pour éviter de signer un serment à Bonaparte. Mon frère m’écrit ce matin, il m’engage à venir chez lui à Rouen avec Amélie et les enfants pour y attendre les événements ; mais je ne puis accepter son offre, je crains qu’on ne vienne m’y poursuivre et qu’on ne me force à signer ce que ma conscience réprouve, et ce que je suis décidé à ne pas tenir.

Le roi, qui en abandonnant Lille s’était dirigé vers Ostende, avait eu l’intention de se retirer à Dunkerque, mais, devant la rapidité des événements, il a abandonné cette idée, et il est parti pour Gand le 31 mars.


4 avril. — La duchesse d’Angoulème a dû quitter Bordeaux le 1er avril. Depuis le 10 mars, date à laquelle cette héroïque princesse a reçu la nouvelle du débarquement de Napoléon, elle a constamment lutté pour la défense de la royauté, et elle a montré une présence d’esprit et une activité infatigables. Les habitants n’ont pas cessé de témoigner de leurs sentiments royalistes par des démonstrations enthousiastes ; le 5 mars, elle était arrivée en gondole sur la Gironde avec le duc d’Angoulème et, lorsqu’elle était montée en voiture, vingt jeunes gens et vingt jeunes filles vêtus de blanc s’étaient attelés au carrosse pour le traîner eux-mêmes à travers les rues jonchées de Heurs. Quel contraste entre cette entrée triomphale, et ce départ hâtif vingt-six jours plus tard dans la nuit noire, au milieu des éléments déchaînés, avec la crainte incessante de tomber entre les mains des troupes en révolte ! La garnison, en effet, qui d’abord avait manifesté quelque tiédeur, est devenue peu à peu tout à fait hostile ;

1er Novembre 1900
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