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travaillait, d’après madame Hall, très irrégulièrement. Quelquefois, il descendait de très bonne heure et il paraissait très affairé. D’autres jours, il se levait tard, il arpentait sa chambre, il s’agitait bruyamment des heures entières, il fumait, il dormait dans son fauteuil auprès du feu. De communication avec le monde, hors du village, il n’en avait aucune. Son humeur demeurait très inégale ; le plus souvent, ses manières étaient d’une irritabilité presque insupportable ; souvent, des objets furent brisés, déchirés, écrasés, broyés dans des accès de violence. Son habitude de se parler tout bas à lui-même allait augmentant ; mais, quoique madame Hall écoutât avec soin, elle ne pouvait trouver ni queue ni tête aux discours qu’elle entendait.

Le voyageur paraissait rarement le jour ; mais, au crépuscule, il partait, bien enveloppé, la figure encapuchonnée, que le temps fût froid ou chaud, et il choisissait les chemins les plus solitaires et les plus ombragés ou les plus encaissés. Ses gros yeux, dans son visage de spectre, sous le bord du chapeau, émergeaient soudain de l’obscurité, apparition désagréable pour les habitants qui rentraient au logis. Teddy Henfrey, sortant vivement, un soir, à neuf heures et demie, de l’Habit Rouge, fut honteusement effrayé par la tête de mort du voyageur (il se promenait le chapeau à la main) qu’une porte ouverte à l’improviste mit en pleine lumière. Tous les enfants qui le voyaient à la chute du jour rêvaient de fantômes ; on ne savait pas s’il craignait les gamins plus qu’il n’en était craint, ou inversement ; mais ce qui est sûr, c’est qu’il y avait de part et d’autre antipathie profonde.

Il était inévitable que, dans un village comme Iping, un personnage d’allure si originale et de mœurs si singulières fût souvent le sujet des conversations. Sur l’emploi de son temps, l’opinion était très divisée. Madame Hall était, sur ce point, très susceptible. À toutes les questions, elle répondait que « c’était un faiseur d’expériences », et elle appuyait à peine sur les syllabes, en personne qui craint de se compromettre. Lui demandait-on ce qu’était un « faiseur d’expériences » ? Elle répliquait, avec un petit ton de supériorité, que les gens instruits savent cela, et elle ajoutait alors qu’« il