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Page:Revue de Paris - 1900 - tome 6.djvu/9

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la route de l’exil

cées, aussi beaucoup de gardes ne peuvent suivre. Le départ s’est fait fort en désordre, il arrive à chaque instant des retardataires qui nous rejoignent ici à grand’peine ; la plupart sont démontés et traînent leurs chevaux par la bride ; la pluie qui continue à tomber augmente encore le désarroi : c’est un spectacle navrant. Le chaleureux dévouement qui nous anime tous peut seul nous soutenir. À la maison militaire se sont ajoutées les troupes des volontaires qui sont en nombre considérable et que Louis de la Rochejacquelein a sous ses ordres. Ces hommes de tout âge, dont quelques-uns sont presque des enfants, sont peu habitués aux longues marches, beaucoup n’ont jamais porté ni un sabre ni un fusil, mais ils supportent tout sans se plaindre. Cependant, malgré leur courage et leur endurance, la plupart ne sont pas de force ; on a dû prendre trente voitures qui suivent la colonne et transportent les équipages et les malades. Ces voitures sont régulièrement payées à chaque étape ; cela permettra d’aller plus vite, mais malgré tout la marche s’en trouve toujours retardée. Naturellement il ne faut plus compter sur les troupes qui devaient se réunir à nous et avaient ordre de se replier sur Paris. Comme nous l’avait fait craindre Virieu, toutes ont passé à Bonaparte ; même les équipages du duc de Berry, qui venaient de Villejust, ont été arrêtés en route et entièrement pillés. Il est arrivé seulement un bataillon de volontaires de l’École de droit qui est venu nous rejoindre ; il s’est bravement conduit à Vincennes, qu’il était chargé de défendre ; il ne s’est retiré que drapeau blanc déployé, aux cris de : « Vive le roi ! » et après avoir signé une capitulation honorable. Presque tous les régiments, à l’exception des régiments suisses, ont fait défection.


22 mars. — La pluie continue de tomber sans relâche. Nous faisons halle en plein champ. J’ai de vives inquiétudes au Pont-Saint-Remy ; heureusement ce n’est qu’une fausse alerte. Je distribue de l’argent et je continue ma route sur Abbeville. La cavalerie du général Exelmans nous serre de près et la marche de notre colonne se trouve fortement retardée par les hommes démontés qui suivent et la batterie qu’escortent les Cent Suisses. J’entre à Abbeville à la tête de ma compagnie ; nous y sommes accueillis par les cris de : « Vive le roi ! »