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j’attendis là jusqu’au bout… Enfin, seule l’extrémité morte des ongles subsista, pâle et blanche, avec la tache brune d’un acide sur mes doigts.

» Je fis un effort pour me lever. D’abord, j’en fus aussi incapable qu’un enfant en maillot : je piétinais, au bord de mon lit, avec des membres que je ne pouvais pas voir. J’étais faible et affamé. Je m’avançai et je regardai dans mon miroir : rien ! rien du tout ! sinon quelques pigments atténués, plus légers qu’un nuage, subsistant derrière la rétine : je dus me pencher sur la table et me coller le front contre la glace.

» Ce ne fut que par un violent effort de volonté que je réussis à retourner à mes appareils et à compléter mon opération.

» Je dormis pendant la matinée, en mettant mon drap sur mes yeux pour les protéger contre la lumière. Vers midi, je fus réveillé par des coups à la porte. Mes forces m’étaient revenues : je me dressai sur mon séant, je tendis l’oreille et je perçus des chuchotements. Je sautai sur mes pieds et, à la muette, le plus doucement possible, je me mis à démonter mon appareil, à en disperser les parties à travers la chambre, pour qu’on ne pût avoir aucune idée de sa structure. Bientôt les coups se renouvelèrent, des voix appelèrent : d’abord celle du propriétaire, puis deux autres. Pour gagner du temps, je leur répondis. Le chiffon et l’oreiller invisibles me tombant sous la main, j’ouvris la fenêtre et je les lançai dehors, sur le couvercle d’un réservoir. Comme la fenêtre s’ouvrait, un craquement se fit entendre à la porte : quelqu’un avait pratiqué des pesées, pour faire sauter la serrure ; mais les verrous solides, que j’avais vissés quelques jours avant, l’arrêtèrent. Tout de même, cela me fit tressaillir et me rendit furieux. Je commençai à trembler et à précipiter mes mouvements.

» Je jetai pêle-mêle au milieu de ma chambre des feuillets détachés, de la paille, du papier d’emballage, etc., et je tournai le robinet du gaz. Des coups sérieux se mirent à pleuvoir sur ma porte. Je n’arrivais pas à trouver les allumettes ; de mes mains je battais les murs avec rage. Je refermai le gaz, enjambai la fenêtre et me tins sur le couvercle du réservoir : puis, très doucement, je baissai le châssis et là, en