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puis dans un océan de confections. Je m’y précipitai, je m’étendis à terre, je me débarrassai de mon gilet, après des contorsions à n’en plus finir ; et, hors d’haleine, affolé, je me dressai en liberté juste au moment où l’agent et trois commis tournaient le coin. Ils se jetèrent sur mon gilet et mon caleçon ; ils s’emparèrent de mon pantalon. L’un des jeunes gens s’écria : « Il abandonne son butin ! Il est certainement par ici !… » Mais, tout de même, on ne me découvrit point. Je restai là un moment, à les voir qui me cherchaient, et à maudire la déveine qui me faisait perdre mes vêtements. Puis, je retournai au buffet, je bus un peu de lait, et je m’assis auprès du feu pour examiner la situation.

» Bientôt arrivèrent deux employés qui se mirent à causer de l’affaire avec beaucoup d’animation et comme des sots qu’ils étaient. J’entendis un récit très exagéré de mes déprédations, puis des conjectures sur l’endroit où je pouvais bien être. Alors je me repris à faire des projets. La difficulté insurmontable, ici, maintenant surtout que l’alarme était donnée, c’était d’emporter quoi que ce fût. Je descendis au magasin pour voir s’il y avait moyen de faire un paquet et de mettre dessus une adresse ; mais je ne pouvais pas deviner comment fonctionnait le contrôle. Vers onze heures, la neige ayant fondu à mesure qu’elle tombait, la journée étant plus belle et un peu plus chaude que la précédente, je me dis que décidément il n’y avait rien ici à espérer pour moi, et je sortis, toujours exaspéré de ma mauvaise chance et n’ayant d’ailleurs en tête que les desseins les plus vagues.


XXIII

LA BOUTIQUE DE DRURY LANE


» Vous devez commencer à comprendre tous les désavantages de ma condition. J’étais sans abri, sans rien pour me couvrir ; me procurer des vêtements, c’était sacrifier tous mes avantages, c’était faire de moi un monstre étrange et terrible. De plus, je jeûnais, car manger, me remplir l’estomac d’ali-