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AR MÔR

de la marche la peau de loup gris dont les deux pattes antérieures venaient se croiser sur sa poitrine, comme un double baudrier.

C’était déjà l’heure crépusculaire.

Le vent occidental, que les Kymris appellent kornog, agitait au-dessus des lointains de vastes plis d’ombre. Les femmes, à genoux, les mains appuyées à plat sur le sol, soufflaient les brandes sèches que des enfants attisaient. Dans la fumée des âtres en plein air flottaient des odeurs de graisses fondantes et de chairs rôties ; mais l’odeur singulière, l’odeur innomée, exhalée on ne savait par quoi, continuait de les dominer toutes, amère et capiteuse tout ensemble, et fleurant comme un parfum de violette compliqué de vingt autres essences inconnues.

Gor allait, sans hâte, savourant la brise aromatique, l’aspirant des lèvres, comme un baiser.

Lorsqu’on vit, à la lueur des brasiers, passer le chef des Osismes avec son opulente crinière bouclée, rougie au tan, qui le faisait ressembler au dieu Tarann, père des ciels orageux, des rumeurs s’élevèrent parmi les groupes, autour des feux, et tous les regards le suivirent, intrigués. Une fillette, qui trayait les chèvres, lui cria :

— Si c’est Iona que tu cherches, elle n’est pas encore revenue de la source.

Il ne cherchait point Iona : il se dirigeait vers l’extrémité du camp où, près des fourgons réservés aux esclaves, étaient rangés les chariots des vieillards et ceux des infirmes. Il se glissa dans les ruelles qu’ils formaient, enjamba les timons abaissés, et s’arrêta devant un véhicule aux roues peintes, qui, sous ses courtines de cuir brut, hermétiquement closes, gardait, au milieu de l’animation environnante, un aspect farouche et fermé, comme une tombe. C’était l’Arche de la tribu. On n’en approchait d’ordinaire qu’avec crainte. Elle avait été construite, disait-on, au temps où les ancêtres de la race ignoraient encore l’usage du fer et, pour travailler le bois, polissaient entre leurs durs genoux des haches en onyx.