vriers qui défrichent, tour à tour, la terre nourricière et la vigne mystique du Seigneur.
Cette réunion de personnes si différentes par l’âge, la condition, le caractère, et conservant dans leur figure et sous l’habit rustique quelque chose de leur premier étal, n’est-ce pas un spectacle tout à fait propre à édifier le bon chrétien et à réjouir le bon peintre qu’est M. Philippe de Champaigne ? Tous ses modèles sont là : M. Hamon, figure circonspecte et froide aux fins yeux bleus, M. de Pontchâteau, au visage enflammé sous la perruque noire, M. Le Maistre, au grand nez noble, aux yeux étincelants, M. Arnauld d’Andilly, le patriarche de Port-Royal, au regard de feu, à la voix de tonnerre, au corps sain et droit, et « dont les cheveux blancs s’accordaient si merveilleusement avec le vermillon de son visage ». Ici, de vieux soldats, là des chanoines qui ont quitté leurs bénéfices comme leurs belles soutanes de soie amples et traînantes. Tous, ils ont « changé leurs épées en bêches et leurs plumes en râteaux ». Dès l’aube, après Matines, M. Hamon, si mal vêtu que Fontaine en avait pitié, a fait cinq ou six lieues pédestrement, pour soigner de pauvres malades ; et les autres Messieurs ont coupé les blés, sarclé le jardin, mené la charrue, avant de reprendre, dans le silence de la cellule, quelque ouvrage de traduction. Voici près d’eux, mangeant au même plat, leurs domestiques qu’ils regardent comme leurs frères, et cet Innocent Faï, « chartier » des Granges, qu’ils vénèrent comme un saint. Car ils savent que ce pauvre garçon, esprit simple et simple cœur, a réparti son patrimoine entre les orphelins et les veuves, qu’il est un vivant exemple de charité et d’austérité, qu’il « dompte sa chair comme ses chevaux ». On l’a vu prier Dieu, à genoux dans l’écurie, au milieu des bêtes, et, bien souvent, il est revenu des champs sans souliers parce qu’il avait rencontré quelque misérable qui allait pieds nus.
« Après le dîner, dit M. Giroust, le chapelain fait l’action de grâces selon le bréviaire. On dit l’Angelus, puis on sort en silence, comme on y est venu en silence. Au sortir de là, on